Myo émergea d'un sommeil on ne peut plus lointain. Elle cligna des yeux, comme étonnée d'être parvenue à reprendre connaissance.

-Alors ça, c'était énormissime ! laissa-t-elle échapper, à elle-même.

Même si tout lui semblait flou, elle se souvenait de l'étrange potion que lui avait administré Screwface. Le résultat avait été détonnant : la jeune fille avait flotté entre hallucinations et réalité altérée, voyant la couleur de la musique, parvenant même à toucher ses tons arc-en-ciel du bout des doigts. En bref, le plus gros trip de toute sa foutue vie !
Elle ne savait pas trop ce que son ami expérimentaliste avait voulu faire à la base avec sa décoction, mais elle ne manquerait pas de le remercier pour cette défonce digne de Woodstock.

Elle se redressa, et s'étira.
Elle réalisa sans étonnement qu'elle se trouvait dans la pièce principale du dispensaire, le petit hôpital du quartier résidentiel. Des rangées et des rangées de lits en fer blanc s'alignaient devant elle. Dessus, des étudiants gémissaient dans leur sommeil, couverts de furoncles ou la tête disproportionnée, vestiges de la bataille rangée du club de duels.

En tentant de faire le moins de bruit possible, elle sauta à terre, et se dirigea tranquillement vers l'entrée du bâtiment.

Là, Titus n'en menait pas large, devant les trois infirmières triplées qui s'occupaient du dispensaire :

-Ah bravo ! Vous, les chargés de fraternité, vous bizutez sans jamais penser aux conséquences ! cria l'une des soignantes.

-Mais ce n'était pas un bizuta... tenta le cowboy.

-On a pu la soigner, mais c'était tout juste ! On a trouvé de l'essence de venin de grapcorne dans son estomac ! Du venin de grapcorne ! Mais à quoi vous pensiez ?! s'offusqua la deuxième.

-Mais je n'ai pas...

-Et ses blessures ! s'écria la troisième infirmière, copie conforme de ses sœurs. Vous l'avez amené au zoo de Magizoologie et vous l'avez fait affronter un rhinoféroce à mains nues, c'est ça ?! Ça vous a bien fait rigoler, hein ?!

-Mais non, je n'aurais jamais...

-Jusqu'où vous vous arrêterez ?! Jusqu'à la mort de tous les premières années ?!

-Mais Myo n'est même pas en première ann...

-Vous devriez avoir honte de vous ! s'exclamèrent les trois en chœur, sans écouter le pauvre américain.

Il détourna le regard, et, avec un soulagement visible, aperçut son amie, qui lui faisait un petit signe de la main.

-Myo !

Il lui agrippa fermement le bras, et sous le regard désapprobateur des trois infirmières, la fit sortir du petit hôpital.
Au dehors, quelques rayons de soleil timides pointaient à l'horizon.

-Ça va ? demanda Titus. Qu'est-ce qui t'es arrivé, bordel ?!

La sorcière à la chevelure épinard se regarda les mains, et grimaça.

-J'ai déchiré la manche de mon pyjama préféré ! fit-elle en tendant son bras à son ami.

Titus inspira, histoire de faire preuve de patience :

-Moui, bon, si c'est que ça, t'auras qu'à l'amener au club de couture. Qu'est-ce qui s'est passé ?

-Un truc de ouf ! Je dormais chez moi, et je faisais ce rêve publicitaire, tu sais, celui avec Billy Says qui essaye de refourguer sa camelote, et là, c'était pour une potion anti-tâches magiques, ce qui aurait pu m'intéresser si j'avais pas été à ce point fauchée, parce que c'est vrai qu'en Sciences Occultes des fois on se prend de ses éclaboussures de mélanges dégeu...

-Myo...

-...mais bon, je pense que je ne l'aurais pas acheté de toutes façons, juste parce que ça m'énerve qu'ils nous forcent à rêver de ça, et tu sais ce qu'on devrait faire ? Une pétition contre ça ! Même si pour le coup ça a coupé un cauchemar que je faisais. Enfin bref. J'ai donc eu une coupure pub dans mon sommeil, et évidemment, ça a fini par me réveiller...

-Myo...

-...et quand je me réveille en plein milieu de la nuit, je meurs de soif ! Systématiquement ! Inventer un rêve qui nous empêche d'avoir soif la nuit, voilà une bonne idée ! Si Billy Says essayait de me vendre ce genre de sortilège, là, peut-être que je mettrais quelques mornilles de côté pour l'acheter !

-Myo !

-Où est-ce que j'en étais ? Ah oui, j'avais vraiment très soif, ce qui m'arrive souvent quand je me réveille au beau milieu de la nuit ! Donc, je me lève, je vais dans le coin cuisine de mon appart -tu sais à quel point mon appart est petit, hein-, et là... tu devineras jamais sur quoi je tombe !

-MYO ! VIENS-EN AU FAIT !

La jeune fille sursauta.

-Heu... je me suis fait attaquée par un monstre dans mon appart je suis allée me réfugier dans le Grand Potiron et Screwface m'a filé une potion expérimentale pour guérir mes blessures ! glapit-elle à toute vitesse.

La silhouette de la grande résidence universitaire se découpait de façon menaçante dans le point du jour. Une main crispée sur sa baguette et un fusil de chasse moldu accroché dans le dos, Titus entra d'un pas résolu dans la bâtisse, suivi de près par son amie qui tenait sa poupée vaudou serrée contre elle.
Grimpant précautionneusement les 6 étages du bâtiment, les deux détectives en herbe finirent par atteindre le seuil du minuscule appartement de Myosotis.

La porte en avait été fracassée, et le chaos qui régnait à l'intérieur semblait suggérer qu'une famille de manticores y avait élu domicile. S'allumant une longue cigarette, Titus observa la pénombre les yeux plissés.

-Le charme désuet des piaules universitaires ne cesse de m'ébahir...

-Pas mal, hein ? fit Myo d'un air innocent. J'aurais pu avoir mieux, mais ma chère génitrice a proclamé que c'était amplement suffisant...

-Tu m'en vois navré, marmonna le ricain en exhalant sa fumée.L'endroit où je crèche est peut-être vermoulu, mais au moins il est isolé, donc à l'épreuve des crétins congénitaux qui peuplent la fac. T'as vraiment pas de bol...

-Bah, moi ça me va ! Tu veux pas interroger les voisins avant d'entrer ? D'ailleurs, t'es bien sûr de vouloir entrer ?? Je me sens pas à l'aise, ici.

Titus se tourna vers la jeune sorcière : elle agrippait nerveusement son bras et ne cessait de jeter des regards inquiets autour d'elle, s'attendant à ce qu'un croque-mitaine jaillisse de l'obscurité à tout moment. Le cowboy était déterminé à retrouver la trace de l'abomination qui s'en était prise à son amie, cependant il émettait des doutes quant à la nécessité de la présence de Myo en ces lieux. L'emmener ici, n'était peut-être pas l'idée du siècle... Mais j'ai pas le choix. Il faut qu'elle me montre exactement comment les choses se sont déroulées !

-Ok, faisons ça. Même si je doute qu'un seul de ces clampins ait été assez sobre pour avoir entendu quelque chose, ça coute rien d'essayer...

Joignant le geste à la parole, le cowboy se dirigea vers le premier appart voisin et toqua à la porte.
Rien.
Il recommença avec la porte suivante.
Toujours rien.
La troisième.
"On ouvre plus aux mendiants ni aux démarcheurs ! " hurla une voix de petite vieille qui fut suivie par le claquement d'une douzaine de verrous actionnés par magie.

-Une vioque ? C'est quoi encore cette arnaque ?? Magouille sous-loue à des particuliers maintenant ?

-On dirait bien, fit Myo d'une voix emplie d'émotion. Quel homme ! Quel sens de la justice sociale !

-Mouais, ça doit être ça... soupira Titus. Allez, on continue.

Ce ne fut qu'à la dernière porte du corridor de l'étage qu'un individu vêtu d'une robe de chambre élimée et visiblement pris au saut du lit daigna ouvrir aux jeunes enquêteurs :

-Keskecé ?

-Bonjour ! s'exclama Myo d'une voix chantante. Je suis votre voisine du bout du couloir, vous voulez bien répondre à quelques questions, siouplait ?

-Kewa ?

-Je disais : vous voulez bien répondre à qu...

Saisissant le quidam par le col, Titus le tira hors de son appart, son visage presque plaqué contre le sien.

-Un monstre d'au moins deux mètres de haut, vert et écailleux avec des griffes rétractiles de 20 centimètres tranchantes comme des rasoirs, ça te rappelle quelque chose ?

-Bé, maintenant qu'vous l'dites, c'est possible... bredouilla le locataire.La réglementation de l'immeuble est pourtant claire : Pas d'animaux ici !

-Non c'est vrai ? fit le cowboy d'air faussement navré. Mais où vas le monde, je vous le demande.

-C'est ben vrai ! Pas plus tard qu'hier soir par exemple, on a piégé la poignée d'ma port...

-PARLE, DÉBILE !!!

-Ok, ok ! J'ai pas vu d'monstre écailleux comme vous dites. Mais cette nuit j'ai entendu un grondement strident, comme un porc qu'on égorge, et puis des pas lourds juste devant ma porte ! Pi y a eu un grand bordel au bout du couloir, et le hurlement d'une jeune fille ! Pour finir, j'ai entendu des pas précipités passer devant l'perron et qui ont dévalés les escaliers...

-C'est tout ?

-Non non ! Au bout d'un moment, j'ai entendu un bruit de verre fracassé, comme si on défonçait une fenêtre !

-Ça a surement été le cas, observa Myosotis. Cette saleté a du s'enfuir par là pour éviter d'être aperçue par des gens réveillés par son barouf.

-Possible... grommela le cowboy. Au moins, ça voudrait dire qu'elle a foutu le camp. Merci pour ton aide, gringo. Maintenant retourne au plumard et fissa !

Libéré de l'étreinte du jeune sorcier, l'homme en robe de chambre ne se fie pas prier, et referma sa porte à double-tour. Remontant le corridor, les deux étudiants se jetèrent un regard entendu et pénétrèrent dans l'appartement plongé dans les ténèbres.

-NAAAAAAOOOOOOOOOOOOOON !

Myosotis, qui venait de faire quelques pas dans son appartement, s'effondra à genoux et leva les bras au plafond. Sa baguette en mode « lumos » tomba à terre, et s'éteignit, plongeant la pièce dans les ténèbres.

-POURQUOI ? POURQUOI, DIEUX CRUELS, ME PERSÉCUTEZ-VOUS DE LA SORTE ?! criailla-t-elle d'une voix devenue méconnaissable par les sanglots. QU'AI-JE FAIT POUR MÉRITER UN CHÂTIMENT PAREIL ?!

Titus ralluma la lumière. Il regarda son amie en finissant tranquillement sa cigarette, attendant qu'elle reprenne ses esprits.

-Tu sais, l'important, c'est que le monstre soit parti, et qu'il n'y ait pas eu mort d'homme, tenta-t-il prudemment.

Mais pas assez prudemment, sembla-t-il.

-Non mais t'as fumé ?! ragea-t-elle en se relevant, essuyant ses larmes d'un revers de manche hargneux.

-Oui. Et toi aussi.

Myosotis médita un moment cette phrase.

-...certes, admit-elle, au bout d'un moment. Mais regarde-moi ça ! Regarde-moi ce gâchis ! Même un Reparo ne pourra jamais me rendre ma belle collection !

Titus jeta un œil sur la « belle collection » en question : tous les posters, photographies et autres agrandissements à l'effigie du Dr Magouille qu'elle avait accroché sur son mur avaient été lacérés avec une arme particulièrement pointue et enragée.

Et ce qui inquiétait le plus le sorcier, ce n'était pas tant la violence avec laquelle le monstre avait massacré la déco plus que douteuse de l'étudiante : non, le plus flippant, c'était bel et bien le nombre de photos du doyen que Myo avait disposé chez elle ! Il y en avait partout ! Sur les murs, sur le plafond, dans des cadres sur les étagères, ou sur l'unique table de la pièce, il n'y avait plus un espace de libre. Et si quelques unes de ces affiches venaient de publicité ou de coupures de journaux, la plupart semblait être des clichés pris dans le secret par un paparazzi amateur.

-Myo... tu espionnes Magouille ? demanda le cowboy, en levant un sourcil suspicieux.

-Évidemment ! Tu sais combien de temps il m'a fallu pour prendre autant de photos ?! J'y ai passé la moitié de l'année dernière ! Et tout est foutu à cause de cette saloperie de monstre ! Ah, ça m'énerve !

Elle se releva, les mains sur les hanches, les sourcils froncés, le regard déterminé, sa chevelure verte irradiante flottant dans son dos :

-Alors maintenant, c'est une affaire personnelle entre l'écailleux et moi !

-Ah parce quand il t'a attaqué au beau milieu de la nuit dans ta piaule, ça n'était pas assez personnel pour toi ? ironisa l'américain.

Il essuya un regard blasé de son amie française, mais passa outre.

-Bon, cherchons des indices. Un gros monstre couvert d'écailles, ça laisse forcément des traces.

Myo hocha la tête, et se mit à scruter le sol de son appartement, tandis que son acolyte faisait de même de l'autre côté.

Il y avait beaucoup de dégâts : certains pots de ses innombrables plantes n'avaient pas survécus. Tout comme son étagère spéciale, où elle avait rangé ses Potions Miracles. Elle ne put retenir un gémissement de désespoir en apercevant le liquide échappé des fioles brisées qui gouttait à terre, formant une tâche sombre sur une moquette déjà pas très propre. Il lui faudrait de nombreux sortilèges pour tout remettre en ordre.

Myosotis soupira, et reprit sa contemplation du sol, dans l'espoir d'y trouver autre chose que son propre sang ou des miettes de ses affaires. Et, au bout d'un moment, elle glapit :

-Ah ah ! J'ai trouvé un poil ! Un poil tout vert et super long ! C'est forcément au monstre ! Faut qu'on le fasse analyser et tout et tout !

Elle le tendit à Titus, triomphante. Mais à sa surprise, le cowboy se contenta de lever les yeux au ciel :

-... c'est un de tes cheveux.

-Ah.

Sans rajouter un mot de plus, la détective en herbe se remit à rechercher des preuves. Mais elle n'avait pas l'expérience de son ami pour résoudre les enquêtes...

Même dans un foutoir pareil, il devait exister une façon très particulière et un ordre précis dans lequel les évènements s'étaient déroulés. Il fallait repérer les éléments qui n'étaient pas à leur place, malgré le chaos ambiant. Quelque chose d'autre que le saccage de l'appart et qui clochait tout autant... Titus s'alluma une énième cigarette roulée et considéra de nouveau la scène de crime, les yeux rougis par la fumée.

-Tu fumes trop, s'inquiéta Myo en le voyant ainsi plongé dans ses pensées.

-Peut-être bien, mais ça m'aide à me concentrer. Et là tout de suite j'ai besoin de BEAUCOUP de concentration...

Il se tourna vers le petit coin cuisine et examina le sol jonché de bris de verre.

-Tu dis que tu lui as balancé ton verre d'eau à la tronche ? Que le verre a littéralement explosé ?

-Yep ! Ça a été mon premier réflexe !

-Tu te rends compte qu'y a pas la moindre goutte de sang malgré la violence du jet ? Cette saleté doit avoir la peau très dure.

-Arrête, s'il te plait ! Je recommence déjà à flipper ! T'en as bientôt fini, qu'on fasse un débriefe au potiron ou ailleurs ??

-Relax, je fais ce que je peux !

-Et ton machin indien pour traquer les proies dont tu m'as parlé ? Il pourrait pas fonctionner ici ?

-C'est pas une réussite assurée à tout les coups, figures-toi ! Lors de ma traque du loup-garou, ça même complétement planté! De toute façon, il me faut soit un objet personnel, soit carrément du tissu corporel pour faire l'incantation...

Se relevant, Titus observa l'ensemble du logement sans dessus-dessous : il y avait forcément quelque chose à trouver ici. Il y avait toujours quelque chose qu'on oubliait derrière soi, un objet, ou un indice sur le mode opératoire, ou les deux ! Toujours ! Mais quoi au juste, dans ce cas précis ?

Chances de Titus de trouver un indice significatif sur la scène de l’agression :

Titus Reynolds a effectué 1 lancé(s) d'un (CARTE CHANCE.) :

3

Bon dieu ! Pas une seule trace en dehors des coups de griffe sur les murs ! Pas un seul échantillon ! Que dalle !
Titus relava tout de même les mensurations des griffures: il ferait une recherche plus tard à la bibliothèque du bâtiment de Magizzologie, ou bien demanderait carrément à Dragonneau ce qu'il en pensait, c'était toujours ça de pris...

Alors qu'il notait sur son calepin vieilli les précieuses informations, un détail lui sauta soudain aux yeux. En regardant de plus près parmi les photos de Magouille et en considérant leur disposition, il se rendit compte qu'il en manquait quelques-unes... Et ça n'était pas les posters ou les photos dédicacées.

-Dis-moi, tu te rappelles de chacune des photos que tu as prises ?

Myosotis, qui était affairée à récupérer le peu de "substance biologique" qui lui restait dans un bocal aussi gros qu'un saladier se tourna vers lui :

-Ben, pas mal mais bon, faut que je me creuse la tête : j'en ai une sacrée collection ! dit-elle avec une fierté et une passion non-réprimées.

-Ok, que ce soit bien clair : je tiens pas à rejoindre ton fan club du Doyen, mais je pense que la monstruosité t'en as embarqué quelques-unes.

-DE QUOI ?! LA SALOPERIE !!! JE TE JURES QU'ELLE VA ME LE PAYER !!! JE LUI FERAI BOUFFER SES DENTS !!! JE LUI RENTRERAI SES GRIFFES DANS LE-

-Who who who ! On se calme, ma grande ! Tout d'abord, on va aller se prendre quelques heures de sommeil, ça sera pas du luxe. Perso, je rentre au bercail. Quant à toi, je te raccompagnes au Potiron, et hors de question que tu ailles crécher ailleurs pour l'instant, vu ?

-Oui chef.

-Bien, attrape une ou deux affaires. On se casse.


On retrouve Myo là !

Et Titus là !