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-C'est la Guerre ! beugla Magouille en entrant précipitamment dans son bureau.

-Euh... la guerre ?! Mais... ce n'est pas ce que je leur ai demandé ! Je crois qu'ils vont juste essayer de les convaincre, fit de sa voix douce Myosotis, qui, comme à son habitude, le suivait de près.

Magouille baissa les yeux vers la jeune fille :

-Ne vous laissez pas abuser, très chère, ces mercenaires seront prêts à tout pour accomplir leur mission.

L'étudiante aux cheveux verts blêmit :

-Prêts... prêts à tout ?

-Pensez aux Insuffisants, Myosotis ! Nous sommes du bon côté ! C'est nous les gentils !

En prononçant cette dernière phrase, il avança vers un objet étrange recouvert d'un drap, posé sur un guéridon. Il tira sur le drap et découvrit une grande vasque sculptée de griffes de dragon, qui semblait avoir été taillée à même un os. Il agita sa baguette, et une épaisse fumée noire aux reflets vermillon apparut. Ses volutes glissaient du récipient en tournoyant sur elles-même.

Myo regarda avec un air peu rassuré une petite marque au bas du récipient qui indiquait : « en soldes, Barjow&Beurk ». Des images se formèrent sur la fumée, et la Maison Potiron des Gammas, ainsi que la maisonnette jaune de Malicia, apparurent dans la vasque.

-Mais que c'est que ça ?

-Ce n'est rien, badina le Bon Docteur, juste un palanbrume. Je l'ai acheté après que Monsieur Reynolds m'ait empêché de m'amuser dans mon joli costume d'orang outang, rajouta-t-il en marmonnant.

-Quoi ?

-Non rien.

Les deux se penchèrent et regardèrent avec intérêt les images défiler dans le récipient.
Des dizaines et des dizaines de PAFs encerclaient désormais les deux habitations, fébriles, baguettes à la main.

Magouille croisa les mains, satisfait.

-Excellent, ils sont déjà en place.

Il se lança à lui-même un sonorus, et se pencha davantage sur le palanbrume.

-Vous avez eu votre chance de vous rallier à moi, mais vous avez refusé de la saisir. Maintenant, mes chers étudiants, il est temps pour vous d'accepter la fatalité. Le spectacle doit continuer !

Il partit d'un rire machiavélique.

-Mais riez donc, Myosotis, c'était votre idée !

Myo lui lança un regard horrifiée :

-Mais... mais...

Myo, de plus en plus pâle, était penchée sur le palanbrume du bon docteur. Elle ne voulait pas regarder les images de ce qui se passait au Grand Potiron, mais, comme hypnotisée, elle ne pouvait s'empêcher de fixer la brume magique. Lorsqu'elle vit Titus se prendre un sort en pleine poire, elle couina et se couvrit les yeux de ses mains.

Elle recula, et se laissa tomber sur le canapé, à l'autre bout de la pièce.

-Je... je ne voulais pas... articula-t-elle d'une voix blanche.

Il fallait qu'elle fasse quelque chose pour aider ses amis ! Ou non ? Elle voulait stopper leur enquête... mais pas comme ça ! Elle ne pensait pas que ça allait mal tourner ! Mais pourquoi... pourquoi ça tournait aussi mal ?

Myosotis se recroquevilla sur elle-même, et se mordilla le pouce, d'un geste nerveux.

Son cœur lui disait qu'elle avait eu raison d'aider un homme de bien comme Magnus !... mais une horrible voix en elle lui soufflait qu'elle s'était fourvoyée dans sa façon d'agir.

Qu'est-ce qu'elle aurait du faire ? Qu'est-ce qu'elle pouvait faire, à présent ?!

Le Docteur Magouille remarqua l'air horrifié de la jeune fille à la chevelure verte. Il s'approcha d'elle, s'assit à ses côtés et lui prit les mains :

-Myosotis, nous en avons déjà parlé ! Vous avez bien compris les enjeux, n'est-ce pas ?

-Oui, Magnus, mais...

Elle hoqueta, alors que des larmes lui montaient aux yeux :

-Titus est blessé ! C'est ma faute ! Je ne voulais pas ! Je pensais pas que les PAFs étaient si violents ! Et dire que c'était mon idée ! Oh mon Dieu... JE SUIS UN MONSTRE !

Elle fondit en larmes, le visage enfoui dans ses mains.

Magouille leva les yeux au ciel, et soupira. Il attira la jeune fille contre lui avec un petit sourire au coin des lèvres, et lui tapota le dos :

-Là, là. Pleurez un bon coup. Après tout, vous êtes comme toutes les créatures du sexe faible sujette aux crises d'hystérie, je ne saurais vous en blâmer.

Myo serra le docteur dans ses bras, sanglotant contre lui :

-Mes amis vont me détester !

-Moui, il y a des chances.

La jeune fille leva un regard baigné de larmes vers le doyen :

-Donc c'est vrai ? couina-t-elle, plus triste que jamais.

-Oui, mais ils n'ont rien compris à la grandeur et à la beauté de notre projet, Myosotis ! Vous ne voulez pas aider les plus démunis de l'université ?

-S... si...

-Moi aussi, ma chère enfant ! Nous avons le même but ! Moi seul vous comprend !

Myo essuya les larmes sous ses yeux :

-Oui, c'est vrai...

Le doyen baissa la voix :

-Avez-vous réellement besoin de quelqu'un d'autre ?

-Non, mais mes amis...

-Ne m'aimez-vous donc pas ?! la coupa Magouille, en feignant d'être outré, la main posé sur son cœur en un geste théâtral.

Myosotis posa ses mains sur les avant-bras du doyen :

-Mais si ! Bien sûr que si, Magnus ! Je ferai tout pour vous !

-Alors, voilà qui est réglé ! déclara le bon docteur, d'une voix joviale.

Myosotis soupira d'aise en le regardant, les yeux énamourés.

A la réflexion, elle avait de la chance de pouvoir côtoyer un grand homme tel que lui...

Le Dr Magouille regardait son palembrume tout en se lissant pensivement la moustache.

Comme d’habitude, il s’était mis énormément de gens à dos… Et son charisme, si irrésistible soit-il, avait, il lui coûtait de l’admettre, des limites ! Ces maudits fouineurs d’étudiants étaient près de l’empêcher d’amasser son précieux pactole ! Et cela était fâcheux car il avait bien des projets pour lui et Moustache !

Dans cette situation, cette petite Myosotis tombait à pic ! Pour infiltrer les étudiants et asseoir sa volonté, quoi de tel qu’une petite cruche naïve aimée de tous ? D’autant que… il fallait bien l’avouer, cette chère enfant était agréable à l’œil et clairement bien disposée à son encontre ! S’il jouait bien ses cartes, cette énième escroquerie à l’assurance pourrait bien être plus épicée que prévue ! Hoho ! Sa Moustache en frétillait d’avance !

Il fit un petit signe de main coquin à la jeune fille qui, assise sur le canapé de son bureau, semblait pensive :

-Et bien chère enfant ! s’exclama-t-il. Vous avez l’air de vous ennuyer ferme ! Ne voulez vous pas venir regarder le spectacle de notre victoire ? Les mercenaires que vous avez engagés viennent de jeter une boîte pleine de chauve-souris dans le Potiron de vos hippies d’amis ! C’est à pleurer de rire !

Il fit apparaître deux verres sur son bureau, ouvrit une bouteille de Brandy qui y trônait, avant de s’en verser une lichette et de remplir quasi à rabord celui de la Gamma avec un air à la fois machiavélique et rieur :

-Trinquons à notre victoire prochaine !

-Je… je ne sais pas… hésita Myosotis.

Le doyen s’assit à côté d‘elle et lui tendit la boisson :

-Buvez, ma petite ! Cela vous fera le plus grand bien ! Après tout, cela vous permettra d’oublier que vous êtes la cause de tous ces chambardements ! Mais après tout, quelle plus belle action que celle d’aider votre Doyen à triompher du Mal !

La fille aux cheveux chlorophylle le regarda avec de yeux pleins de doute :

-Vous croyez vraiment qu’on va réussir ?

-Mais bien évidemment, chère enfant ! Le Bien triomphe toujours ! Ne vous a-t-on donc rien appris ?

Myosotis but son verre d’une traite sous les yeux ravis du Bon Docteur et lui sourit :

-Merci, ça fait du bien !

-Vous voyez ? Le Doyen a toujours raison, n’est-ce pas ? fit son interlocuteur en lui resservant une rasade de Brandy.

La Gamma s'empressa d'acquiescer :

-Oui, Magnus, vous êtes tellement exceptionnel ! Et tellement bon avec autrui !

-Ah ça je ne vous le fait pas dire, Myosotis ! lui répondit Magouille.

Un bruit suspect s’éleva du palembrume et il se précipita dessus. Il ouvrit grand les yeux : un étudiant blondinet perché sur un balai avec la négresse qu’il avait interrogé ce matin agitait sous les nez des PAFs une fiole contenant un liquide multicolore. Aussitôt, le Doyen s’écria, ses yeux lançant des éclairs :

- L’ANTIDOTE ! JE SAVAIS QU’ILS FINIRAIENT PAR FAIRE UNE ERREUR ET PAR NOUS LE MONTRER ! ATTRAPEZ CES DEUX LA ! ET VITE !

Il se mit à pester et à jurer des menaces sous les yeux enamourés de son invitée :

-Ah, Magnus, quelle fougue ! Quelle détermination ! fit cette dernière dans une pose admirative.

Myosotis colla à nouveau ses yeux sur le palanmachin, mais ne put supporter ce qu'elle y vit. Elle détourna la tête, et vida son deuxième verre d'un trait.

Puis, après une seconde d'hésitation, elle prit carrément la bouteille de brandy, et la but à même le goulot, cul sec, sous le regard étrangement ravi du docteur Magouille.

La jeune fille s'essuya les lèvres d'un revers de bras :

-Ça fait du bien...

Le doyen s'approcha d'elle, un sourire carnassier aux lèvres :

-Ah, ma pauvre enfant, si vous vous sentez enivrée par ce nectar alcoolisé, n'hésitez pas à aller vous allonger sur mon lit, et je vous y rejoindrais dans un inst...

Myo coupa le doyen de son rire cristallin :

-Enivrée ?

-Eh bien... oui ?

-Par une seule bouteille ? Vous m'avez prise pour une bizut ? se moqua-t-elle.

Dr Magouille soupira.

Cette fille était peut-être plus coriace qu'elle en avait l'air, mais il suffisait d'une phrase bien placée pour la faire tomber droit dans ses bras, il n'en doutait pas une seule seconde.

Il s'approcha d'elle :

-Oh, ma chère Myo, susurra-t-il en lissant sa moustache, votre père est-il un voleur ?

-Bah non, il est botaniste ! s'exclama du tac au tac la fille-chlorophylle.

-Parce qu'il a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans vos y...

L'étudiante à la chevelure verte secoua la tête :

-Heu... non non, je vous assure, il est botaniste !

-Non, je voulais dire : il a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans vos yeux...

-Et il est très honnête, renchérit Myo, je ne pense pas qu'il ait jamais volé quoique ce soit.

Magouille fixa la jeune Gamma avec un mélange de surprise et de blasement.

-Oui... Je parlais de vos yeux qui scintillaient tels des...

Il s'interrompit devant l'air d'incompréhension total qu'il lut sur le visage de la jeune fille, et leva les yeux au ciel :

-...bref, passons.

Il se pencha à nouveau sur son objet magique qui produisait toujours plus de fumée. L'étudiante fit de même.

Magouille fit mine de bâiller et s'étira exagérément, et en profita pour passer son bras autour des épaules de la jeune fille. Cette dernière ne put s'empêcher de rougir.

-Ah Myosotis, ne sommes nous pas bien, là ? Vous, moi, et.... NOM D'UNE MOUSTACHE MAL PEIGNÉE MAIS LES PI ALPHA FI SONT EN TRAIN DE PERDRE ?!

Le doyen, les yeux plein de colère, se courba au dessus de la vasque en fulminant.
En effet, sur les images qui défilaient, on voyait clairement que les PAFs avaient déserté les alentours de la maisonnette jaune, et étaient de moins en moins nombreux dans la gadoue orange qu'il y avait là où se trouvait plus tôt le Grand Potiron.

Myo, elle, ne savait pas si elle devait se réjouir pour les Gammas, ou se sentir triste pour son doyen bien-aimé. Dans le doute, elle ne dit rien.

Quelqu'un frappa à la porte du bureau, et le Dr Magouille tourna la tête d'un geste rageur :

-QUOI ?!

-Heu... Je suis un Pi Alpha Fi, j'ai votre antidote, monsieur, fit une voix bourrue derrière la porte.

Alors qu’un nouveau venu entrait dans son bureau, Magouille regardait avec inquiétude l’intérieur de son palembrume :

-Sacrebleu ! Ces mercenaires ne valent pas une mornille ! siffla-t-il. BATTEZ VOUS MES VAILLANTS CHIENS DE GUERRE ! VOUS N’ALLEZ PAS RENONCER CONTRE CES FUMEURS D’OPIUM DÉGÉNÉRÉS DE GAMMAS !

-Opium ? réagit Myo. Dégénérés ?

Le bon docteur réalisa qu'il venait d'insulter la jeune fille qu'il convoitait :

-Mais je ne parlais pas de vous, bien entendu ! Vous êtes de loin la plus saine de votre fraternité !

Myo eut un rire gêné tout en mettant furtivement ses mains sur ses poches pleines d’herbe à vendre.

-Euh… fit le PAF qui venait d’entrer.

-QUOI ?! QUE VOULEZ-VOUS ? s’écria le doyen.

Il considéra avec mépris la tenue de l’étudiant, qui était constituée d’un pagne ridiculement petit et jaunasse, et d’une couronne de plumes sur la tête :

-C’est encore la collecte des hindous nécessiteux ? Ne savez-vous donc pas que je hais les gens de votre espèce ?! cracha Magouille.

-Je suis un natif américain, lui répondit son interlocuteur.

-Et en quoi ça me concerne ? pesta le bon docteur.

L’étudiant lui tendit un flacon plein d’une potion multicolore :

-Nous avons récupéré l’antidote, Monsieur !

Magouille ouvrit de grands ravis :

-Et bien, il fallait me le dire avant, jeune métèque !

Il bondit sur la fiole et la considéra avec convoitise :

-Une fois n’est pas coutume, je vous remercie Monsieur… Comment vous appelez vous ?

-Ours-qui-court-dans-le-ruisseau-mais-qui-jamais-ne-s’en-éloigne.

-Ours qui quoi ?

-Ours-qui-court-dans-le-ruisseau-mais-qui-jamais-ne-s’en-éloigne.

Le doyen balaya l’air d’un geste impatient :

-Je vous appelerai Bob. Merci Bob ! Je vous recontacterai en temps voulu.

-Pour une récompense ?

-Bien sûr que non ! Sortez de mon bureau !

Le PAF exécuta.

Myo applaudit à tout rompre :

-Nous avons réussi, Magnus ! Les nécessiteux de l’université ne seront pas oubliés…

-Oui, oui… les nécessiteux… Grommela le doyen.

Il saisit sa baguette :

-Il est grand temps de se débarrasser de ce fléau et de s’en mettre plein les fouilles ! sussurra-t-il avant de s’écrier : Destructum !

Le flacon explosa et son contenu bondit au visage du Docteur qui poussa un cri.

Myo se précipita sur son bien-aimé :

-Magnus ! Ca va ?! cria-t-elle.

Elle jeta un coup d’œil au flacon brisé. Les éclats de verre formaient désormais le message « Alors, Monsieur le Doyen, qu’est-ce que ça fait de perdre ? ». Ignorant cela, la fille aux cheveux chlorophylle agita sa baguette en direction du docteur :

-Récur’vite ! fit-elle.

-C’est pas trop tôt ! grommela la victime.

En voyant le visage du doyen nettoyé de toute substance magique, elle porta sa main à sa bouche :

-Magnus…

La panique de cette dernière n’échappa pas à Magouille qui s’énerva :

-Qu’y-a-t-il ?

Il porta la main à son visage et le trouva étrangement lisse. Ouvrant des yeux affolés, il se précipita sur un miroir qui était accroché au mur et poussa un cri : ses belles bacchantes avaient disparu ! Il tomba aussitôt à genoux et leva les yeux au ciel :

-MOUSTACHE !!! ILS T’ONT TUEE !!! LES SCELERAAAATS !!!

Cela faisait bien deux heures que Magnus Magouille était allongé sur son canapé, les yeux dans le vide, blême comme jamais. Il posa la main sur le front, l'air souffreteux, et fit mine de tousser.

Myo, agenouillée au chevet de son bien-aimé, épongeait le visage de ce dernier avec un linge frais, sans se lasser.

Elle qui avait toujours pris le doyen pour un surhomme parfait, à l'esprit et au physique sans failles, en avait été très surprise. Il semblerait que le bon docteur, comme tous les êtres humains, avait aussi ses fêlures. Myosotis ne s'en sentait que plus amoureuse encore.

Le bon docteur gémit d'une voix exagérément faible :

-Je me meurs... C'est fini... Je vous rejoins, ma Moustache... Aaah...

-Magnus, ça va aller, répliqua la jeune fille d'une voix calme.

-Non, Myosotis, c'est fini ! Ne me regardez pas, je suis devenu un monstre !

Il mit ses mains devant sa figure dans un geste théâtral.
La jeune fille-chlorophylle les écarta avec douceur :

-Mais Magnus, je vous assure que vous êtes aussi séduisant avec que sans moustache !

Le Bon Docteur se redressa d'un coup, les yeux écarquillés tant il était outré :

-Cessez donc de dire des sottises, Femme ! Vous ne connaissez donc rien à l'Art de la pilosité faciale ?

L'étudiante ne se formalisa pas par la façon un peu abrupte de répondre du doyen. Il fallait prendre ça pour ce que c'était, c'est à dire pour la marque d'un choc profond lié à sa récente perte. Il fallait que le deuil se passe.
Elle tapota avec douceur sur la main du doyen, qui secouait la tête, abattu, et lui murmura :

-Je vous jure que vous êtes très bien ! Même si moi-même j'adorais votre moustache, certaines personnes pourraient même vous préférer ainsi !

-Je ne m'en remettrai jamais, geignit le doyen, sans l'écouter.

-Je suis sûre que si.

-Et tout ça à cause de ces scélérats d'étudiants !

Magouille leva un poing rageur vers le plafond :

-Et tout particulièrement de cette drôlesse à la peau foncée ! Ah ils vont me le payer ! Je vais me délecter de leur défaite !

Il se leva soudain, fulminant, et franchit en deux grandes enjambées l'espace qui le séparait de son palembrume. Il plongea son regard dans la fumée... et laissa échapper un juron.

-Sacrebleu ! Mais pourquoi diable les Gammas lancent des cris de joie ?! Et où sont les Pi Alpha Fi ?!

Myosotis se leva, et regarda à son tour dans la vasque.

Titus, Kimberlie, Djidane et les autres avaient l'air sain et sauf, et sautaient de joie dans la bouillie orangée, entre des PAFs inconscient qui gisaient là. Elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine, et se sentit immensément soulagée.

Elle leva les yeux vers le doyen qui rageait au dessus de la vasque enfumée, et aussitôt, son soulagement retomba, comme un soufflé. Magnus avait l'air si triste, si déçu ! Elle n'avait qu'une envie : le prendre dans ses bras pour le consoler. Mais elle n'osa pas, et se contenta de poser une main compatissante sur l'épaule de celui qu'elle aimait.

-On va trouver autre chose, lâcha-t-elle, histoire de le réconforter.

Le Docteur Magouille s’affairait devant son miroir tout en maudissant à qui mieux mieux l’incompétence des PAF, l’insolence des Gammas et le sadisme de la mulâtresse qui l’avait défiguré. Finalement, il se retourna :

-Alors ff’en ffensez ffous, Myosotis ?

Myo, qui réfléchissait depuis quelques temps déjà à un moyen de ralentir ses amis dans leur progression, accoudée sur le canapé du bureau, releva la tête et sursauta : à la place de sa belle bacchante, le doyen avait tenté de coller des bouts de ficelle noire qui s’entortillaient dans tous les sens au-dessus de sa bouche. En parlant des bouts de fils se décollaient et tombaient à terre. Ce spectacle navrant ne sembla pourtant pas révulser la jeune fille qui croisa les mains en soupirant :

-Magnus, vous savez bien qu’à mes yeux, vous êtes toujours parfait !

Le doyen lui jeta un coup d’œil torve et se considéra dans le miroir… avant d’essuyer sa création et de se remettre à pester :

-Non, ça ne fonctionne pas ! Rien ne peut remplacer Moustache ! Rien !

-Vous souhaitez peut-être essayer avec mes cheveux ? proposa Myo.

-Et ressembler à un brocoli ? Ne soyez donc pas sotte ! persiffla le Bon Docteur avant de se reprendre avec un sourire faux : je crains que le vert ne soit votre apanage, chère enfant, je ne porterai jamais aussi bien que vous cette couleur !

Alors que Myo rougissait devant ce compliment un peu particulier, le doyen s’affala sur son canapé et leva ses mains au ciel :

-Ah, Moustache, pourquoi m’as-tu quittée ? Si j’avais su, je n’aurai jamais contrefait la formule de ce jeune génie pour que cet idiot de Potter lance ce cataclysme ! Ah j’aurai aimé qu’il ne vienne jamais se plaindre auprès de moi et n’avoir jamais entendu parler de ce sortilège maudit !

Il mit son visage dans ses mains, dépité. Son interlocutrice ouvrit des yeux ronds :

-Mais… je croyais que vous n’étiez pour rien dans…

Magouille ouvrit des yeux affolés et se reprit vivement :

-La douleur m’égare ! Je ne sais plus ce que je dis ! Bien évidemment, ce pendard de Potter est le seul et unique coquin à blâmer dans cette affaire !

Il brandit un poing faussement vengeur :

-Sois damné, Harry Potter, toi et ta folie des grandeurs !

Myo lui mit une main sur l’épaule, visiblement très inquiète :

-Il ne faut pas vous mettre dans cet état, Magnus… Et surtout ne pas vous attribuer la faute alors que vous n’y êtes pour rien. C’est tout à votre honneur, mais…

-Oui, je suis comme ça, fit Magouille en s’impatientant. Bon, généreux et droit.

Il se leva :

-Et tous subiront mon courroux vengeur ! Et cette vile Malicia en premier !

Myo s’inquiéta :

-Qu’allez-vous faire ?

Une lueur étrange passa dans le regard du doyen :

-Cette noireaude a mon antidote. Et elle a tuée Moustache. Aussi, il va me falloir employer les grands moyens.

-Que voulez vous dire ? bredouilla la fille aux cheveux chlorophylle.

Magouille eut un sourire cruel :

-Je vais devoir faire appel à mon meilleur homme, le bien nommé Gronk l’Exterminateur…

-Il ne fera pas de mal à Malicia, dites ? demanda Myo.

Le doyen ne répondit pas et partit d’un rire machiavélique.

Myosotis entra dans le bâtiment administratif, un petit panier à la main.

Elle revenait du resto universitaire, où elle avait pris quelques trucs à grignoter à emporter. Elle avait secrètement espéré tomber sur Titus, histoire de se réconcilier et de prendre des nouvelles des Gammas... mais elle n'avait vu personne, sans doute à cause de l'heure tardive -et aussi à cause du couvre-feu, qui avait toujours cours.
Mais bon, elle aurait tout le loisir de lui expliquer le bien-fondé de ses actions plus tard, lorsque les Insuffisants auraient enfin droit à un logement et des salles de cours décents, par exemple !

Rassurée, elle grimpa d'un pas guilleret les marches qui montaient vers le bureau du doyen, sous le regard on ne peut plus haineux de la secrétaire, assise à son office à l'entrée.

Myo replongea dans ses pensées. Il fallait aussi faire quelque chose pour stopper Malicia et ses amis, qui voulaient à tout prix arrêter le sortilège. La jeune fille à la chevelure verte avait bien eu l'ébauche d'une idée. Une idée, disons, vaguement vaudou, mais... elle ne savait pas si ça valait grand chose. Après tout, elle n'était qu'une étudiante, et elle savait qu'elle n'était qu'une petite idiote par rapport à un génie tel que le docteur Magouille.

Elle entra dans le bureau de ce dernier, en soupirant d'aise, heureuse à l'évocation de son bien-aimé.

-J'ai ramené à manger ! chantonna-t-elle en refermant la porte derrière elle.

-Ah, Myosotis, vous tombez bien... Qu'en pensez-vous ?

Le doyen, qui était jusque là de dos face au grand miroir contre le mur, se retourna, le torse bombé, particulièrement fier de lui. Il tenait un gros feutre noir à la main.
Sous son nez, là où quelques heures plus tôt à peine se tenait sa soyeuse moustache, il avait grossièrement dessiné deux arabesques entortillées, dignes des gribouillis hispaniques que les enfants faisaient sur les affiches.

Myo écarquilla les yeux, et se retint de pouffer :

-C'est très... heu... comment dire...

-Oui, n'est-ce pas ? acquiesça Magouille, très fier, en contemplant à nouveau son reflet dans le miroir. Ce n'est pas aussi seyant que Moustache, mais je suis sûr que cela fera illusion !

La jeune fille préféra ne rien répondre. Elle posa le panier plein de victuailles sur la table, et s'avança vers son idole, qui s'auto-lançait des clins d’œils langoureux dans le miroir.

-Avez-vous eu des nouvelles de votre... heu... ami Gronk ?

-Hélas, non ! s'écria le doyen, affligé. Cela fait des heures qu'il aurait du revenir avec l'antidote. Cette diablesse colorée a du user de stratagèmes maléfiques dignes des gens de son espèce pour le retenir.

Myo regarda la vasque magique du doyen, qui était à nouveau recouverte d'un drap.

-Vous ne pouvez pas voir ce qu'il en est dans votre palomachin, là ?

-Le Palembrume ? Il est en charge. C'est vraiment de la camelote, la batterie ne tient pas plus de quelques heures !

Myo hocha la tête, pensive.
Face à la désertion de Monsieur... l'exterminateur, il allait vite falloir passer à autre chose pour mettre toutes les chances de leur côté. Pour une raison qu'elle ne s'expliquait pas, tout le monde semblait pressé d'en finir avec le maléfice qui faisait chanter. Du coup, ça ne les rendait que plus difficile à contrer.

Heureusement, son idée commençait vraiment à se préciser...

Magouille tapa du poing sur la table, tenant son miroir de l'autre main :

-Comment ça, Gronk a démissionné ? ... Des conditions de travail impossibles ? ... Illégales ? Mais c'est un scandale, on ne peut plus faire confiance à personne !

Il raccrocha et se frotta la tête, soucieux :

-Où va le monde Myosotis, si vos hommes de main sous-payés vous abandonnent à la moindre occasion ?! persifla-t-il.

-Ne vous en faites pas Magnus, moi, je ne vous abandonnerai jamais ! s'exclama son interlocutrice aux cheveux verts en le regardant amoureusement.

-Je l'espère bien, car il va nous falloir nous creuser la cervelle une fois de plus ! s'écria le doyen. Le contrat d'assurance stipule que la situation doit rester incontrôlable jusqu'à demain 18h ! Et ces étudiants renégats n'ont cessé de nous mettre des bâtons dans les roues ! Il nous faut trouver un moyen de les contenir coûte que coûte !

Il leva les bras au ciel :

-Mais comment ?!

A ces mots, une musique s'éleva dans le bureau...


-Voilà qui est parlé, Myosotis ! fit le doyen avec un petit air lubrique.

Il désigna la porte de sa chambre :

-Maintenant, entrez donc et prenez vos aises dans mon lit ! Vous ne passerez pas une nuit de plus sur ce canapé !

-Oh merci, c'est très gentil ! fit Myo.

Alors que le doyen pensait être enfin arrivé à ses fins, elle entra dans la chambre et referma la porte à clé :

-J'espère que le canapé ne sera pas trop inconfortable pour vous Magnus ! Je vais profiter du calme de cette chambre pour tenter de lancer le sort que j'ai en tête... Vous serez fier de moi, j'en suis sûre !

Le doyen serra le poing et lança un juron.

Myosotis se concentrait, assise en tailleur, au dessus d'un pentagramme qu'elle avait dessinée sur le sol au pied du lit de Magouille.

Elle avait eu l'idée de ce sortilège en se rappelant le tout premier cours de Mama Ogg auquel elle avait assisté, l'année précédente. Les mots de la Maîtresse des Sciences Occultes résonnaient encore aux oreilles de la française :

« Il y a twois choses que vous devez vous wappeler si vous voulez exceller dans cette matièw'. Pwemièw' chose : votre poupée vaudou est désowmais votre baguette. Mon but est que vous jetiez votre baguette à l'issue de vos examens de twoisième année. Deuxième chose : tout, je dis bien, TOUT, est possible en vaudou. Il suffit d'inventer le bon pentagwamme. Twoisième chose : quoique vous fassiez gwâce à mes cours, ne vous faites jamais pwendwe paw les autowités.»

Avec son propre sang, qu'elle avait puisée à une petite entaille sur son avant bras, Myo avait tracé une grande étoile inversée entourée d'un cercle. Elle avait ensuite esquissé aux pointes des étoiles des glyphes qu'elle avait en tête, pour représenter, de manière approximative, ce qu'elle avait en tête.

-L'un pour le profane, récita-t-elle plus pour elle même qu'autre chose. L'autre pour la multitude. Le troisième pour l'obéissance. Le quatrième pour la réussite. Et le dernier pour moi, le marionnettiste.

Ensuite, comme elle n'avait pas de bougies à disposition, elle avait sorti sa baguette, et fait apparaître des flammèches vertes autour de chaque glyphe, grâce au sortilège d'Incendio.

Puis elle s'était saisie de sa petite poupée vaudou, Madame Zombie, qu'elle gardait toujours autour du cou, et avait commencé à l'agiter au dessus du cercle magique.

Vingt minutes passèrent. La jeune fille commençait à avoir des crampes aux bras, mais elle pratiquait les Sciences Occultes depuis assez longtemps à présent pour savoir que la patience était la vertu la plus importante à avoir pendant l’élaboration de tels maléfices.

Subitement, elle sentit une force passer entre ses mains. Les flammes ténues s'éteignirent d'un coup, et Myo lâcha la poupée.

Cette dernière ne tomba pas à terre et resta en suspension en l'air. Une lumière aveuglante l'entoura, et quelques fils lumineux et serpentins apparurent aux extrémité de Madame Zombie, jusqu'aux bouts des doigts fins de la jeune fille.

Myo bougea alors les doigts, et la poupée, en dessous, rebondit et agit en conséquence, manipulée par les fils de lumière, telle une marionnette.

La jeune fille ferma les yeux, comme transportée. Elle fit quelques mouvements compliqués des doigts, pendant près une dizaine de minutes.
Puis elle rouvrit les yeux, et sut que c'était bon.

Elle poussa un cri de joie, et serra sa poupée contre elle :

-Merci Madame Zombie !

Elle se leva d'un bond, et se précipita dans la pièce adjacente :

-Magnus ! Venez voir !

Le bon docteur Magouille, qui dormait affalé sur son canapé, son chapeau sur son visage, sursauta et se redressa d'un coup :

-J'ai rien fait c'est pas moi ! déglutit-il.

-Venez voir !

Tout sourire, Myo prit le bras d'un Magouille encore dans les vapes, et le tira vers la grande baie vitrée, derrière le grand bureau. Elle regarda au dehors et poussa une clameur de joie, toute excitée.

-Ça marche !

Le doyen se rua sur la fenêtre et regarda avec surprise des milliers d'étudiants quitter leurs maisons d'un pas saccadé. Il se tourna vers Myo :

-Qu'avez-vous fait ?

-J'amène toute l'université au Stade. Personne ne pourra plus en sortir. Comme ça personne ne pourra rien faire contre le sortilège musical.

-Toute l'université ?

-Oui ! Tout le monde ! Même les professeurs ! Enfin, sauf nous deux, bien sûr.

La surprise du doyen laissa place à une franche admiration :

-Ohoh, mon petit ! Vous êtes pleine de ressources ! s'exclama-t-il.

Magouille joignit ses mains. Il avait décidément bien fait de s'allier avec cette petite grue. Qui aurait cru que l'herbe magique ne détruisait pas totalement les cellules du cerveau ?

-Et ils vont rester là bas toute la nuit ? demanda-t-il.

-Jusqu'à ce que je lève l'enchantement ! précisa Myo avec un large sourire.

Magouille partit d'un franc rire :

-Toute l'université en mon contrôle ! Je suis un génie !

-Je n'en ai jamais douté ! fit son interlocutrice avec un sourire timide.

-Bon et bien, laissons les mariner un peu ! Nous les rejoindrons demain ! décréta le Bon Docteur. Je vais leur faire livrer de quoi patienter.

Ma belle composition musicale en boucle et des caisses de Potion Magouille ! pensa-t-il aussitôt. Et une facture pour avoir brisé le couvre-feu ! C'est le plus beau jour de ma vie !

-Vous n'êtes que bonté. affirma la fille aux cheveux chlorophylle derrière lui.

-Je sais ! fit le doyen.

Il se mit à glousser devant le spectacle réjouissant des étudiants qui avançaient telles des marionnettes vers le Stade illuminé.


:arrow: le lendemain, direction le stade !