Lendemain de fêteAVEC : Le Bon Dr Magouille
PRIVÉ / PUBLIC : Privé
DATE : Dimanche 1er Novembre-Saussurus, j'ai un problème, décréta la voix avinée de Magouille.
Le doyen avait l'air particulièrement négligé en cette matinée de novembre : il avait omis de se raser, avait mal boutonné sa redingote, et son chapeau penchait négligemment sur le côté de sa tête.
A ses côtés comme toujours, Hippolytain Saussurus mit la main sur son cœur :
-Oui, je vous comprends : ce sont des temps difficiles pour notre université...
Il fit un signe de tête solennel envers un passant.
-Mais qui se soucie de ça ?! tempêta le bon docteur, en frappant du pied contre le sol.
-Eh bien... Avec ce qui s'est passé hier soir... insinua son faire-valoir. Sans compter les frais que cela va engendrer...
Le docteur Magouille porta à ses lèvres une flasque de whisky bon marché cachée dans un emballage en papier kraft :
-Vous n'aurez pas de salaire ce mois-ci, voilà tout ! déglutit-il, de mauvaise humeur.
Les lèvres du professeur de Langues tremblèrent :
-Mais je n'en ai pas eu non plus les deux derniers mois, ni l'année dern...
-Vous vous vous ! postillonna le moustachu. Toujours vos problèmes ! Et moi là-dedans ?
Saussurus baissa la tête, honteux :
-Vous avez raison, Magnus, comme toujours... Je vous écoute. Qu'est-ce qui vous tracasse ?
Le bon docteur rougit de colère, et gesticula :
-Cette poitrine, bien sûr !
Hippolytain se pencha sur son propre torse :
-Eh bien, il est vrai que j'ai forci ces derniers temps, mais...
-Je ne parlais pas de vous, espèce de gros dégoûtant ! le coupa le doyen.
Saussurus eut l'air déçu :
-Ah.
-Je parlais de la poitrine de cette jeune écervelée à la voix niaiseuse et aux cheveux couleur brocoli ! Celle qui m'a glissé entre les doigts pas moins de quatre fois ! Alors même qu'elle me semble particulièrement peu farouche !
-Peut-être une autre poitrine pourrait-elle vous divertir ?
-J'ai bien tenté ! Je suis retourné dans ce troquet dans lequel j'ai mes habitudes, j'ai loué les services de deux filles de joie... mais même en les forçant à porter une perruque verte, cela n'a pas eu l'effet escompté.
-Je comprend, fit Saussurus en grimaçant. Mais dites-vous que cette étudiante est peut-être un peu trop jeune pour vous...
-Que m'importe son âge : JE VEUX SA POITRINE !
La voix de Magouille résonna sur la place MMM endeuillée, et une foule éparse aux yeux rougis lui adressa un regard assassin.
Le doyen fronça les sourcils :
-Dites-moi, Saussurus... Pourquoi diable ces gens me regardent-ils de la sorte ?
-Ils attendent sans doute votre discours en l'honneur de leurs proches disparus …
-Ah oui.
Magouille bâilla, et baissa les yeux vers les cinq cercueils disposés juste devant lui. Il farfouilla dans sa poche, et en sortit quelques bouts de papier froissés :
-Voyons voir ce discours que vous m'avez préparé, Saussurus...
Il se racla la gorge, et commença :
-Nous sommes réunis ici pour honorer la mémoire de.... Dieu que c'est soporifique ! Ça je passe... ça aussi... ça aussi... mais ce discours n'a aucun intérêt !
Il jeta les notes par dessus son épaule, et clama d'une voix assurée :
-Rendons un dernier hommage à nos cinq disparus d'Halloween ! Les bien-nommés Étudiants n°1, n°2, n°3... et que dire de l'inénarrable Étudiant n°4 ? Aaah, Étudiant n°4, tout le monde se souviendra de votre joie de vivre. Plus que l'Etudiant n°5, en tout cas.
-Magnus... souffla Saussurus. Les noms des défunts étaient sur vos notes !
-Moui... mais je n'ai pas mes lunettes.
-Mais... vous ne portez pas de lunettes !
-C'est juste.
Le doyen tapa dans ses mains, et sourit à l'assemblée particulièrement hostile :
-Eh bien, voilà un hommage rondement mené ! Vous pouvez désormais vous ruer sur le buffet gratuit, car c'est bien cela que vous attendez tous, bande de sangsues ventripotentes que vous êtes !
Son acolyte lui tira la manche :
-Nous n'avons pas eu le budget adéquat pour le buffet, Magnus.
-Ah.
Magouille haussa les épaules, fit volte-face, Saussurus sur les talons. Il repartit vers le bâtiment administratif sous les huées des personnes présentes.
-Je ne vois pas pourquoi on m'a dérangé pour assister à cette cérémonie, pesta-t-il, avant de boire une nouvelle gorgée de sa boisson. Personne n'a pris la peine de venir !
-Il y aurait peut-être eu plus de monde si nous avions averti les familles de la perte de leurs proches !
-J'y penserai, trancha Magouille.
Après avoir déambulé dans les couloirs, les deux entrèrent dans le bureau de Saussurus.
Ce dernier s'assit à son secrétaire. Magouille, quant à lui, se laissa lourdement tomber sur une chaise, et posa négligemment ses bottes crottées sur la table en noyer vernis
-Tout de même, sur les cinq morts, quatre sont imputables à ce râteau mal rangé de Willie Gazon, qui traînait sur le sol du stade lors de la fête d'Halloween ! Ces malheureux s'y sont embrochés en tentant de fuir des zombies ! s'inquiéta le professeur de Langues.
-Je ne comprend pas pourquoi je ne cesse de penser à cette péronnelle aux cheveux verts ! ronchonna le bon docteur sans l'écouter. Ce n'est pas comme si j'étais obsédée par elle !
-Le cinquième décédé quant à lui, s'est étouffé avec une bouchée à la reine bien fournie, précisa Hippolytain.
Magouille s'alluma une pipe d'une main énervée :
-Est-ce de l'obsession lorsque je menace ses amis Gammas afin qu'ils me ramènent ses soutien-gorge sales ?
Saussurus se gratta le menton :
-Peut-être cette fois-ci, faudrait-il penser à demander à Monsieur Gazon de ranger son matériel...
Un nuage de fumée entoura Magouille, qui continuait à pester :
- Était-ce de l'obsession lorsque j'ai versé un philtre d'amour dans sa boisson d'Halloween ? Croyez-le ou non, cela n'a eu aucun effet ! Et j'avais triplé les doses !
-Après tout, poursuivit le professeur de Langues, ce n'est guère la première fois que ce râteau cause la mort de nos étudiants ! J'ai fait mes recherches, et sur les 124 morts survenues depuis la rentrée de septembre, plus de 80% sont dues à cet outil agricole funeste ! J'ai fait un graphique ! Regardez Magnus, c'est tout bonnement terrifiant !
Magnus recracha sa fumée avec rage :
-Était-ce de l'obsession lorsque je me suis déguisé en soubrette mexicaine pour la regarder se doucher dans la salle de bain commune de sa fraternité ?!
-D'autant plus que ce râteau n'a rien de magique : il n'est même pas ensorcelé ! S'emporta Saussurus. C'est un simple râteau moldu ! Bien aiguisé, je vous l'accorde, mais moldu tout de même !
-Etait-ce de l'obsession lorsque j'ai profité de son sommeil pour lui implanter un mouchard acheté en solde chez San Sou Si, afin de contrôler ses moindres allées et venues ? S'écria le Dr Magouille. Et il ne fonctionne même pas ! Regardez : il me dit qu'elle est en ce moment même dans bâtiment administratif !
Il sortit de sa poche un gros radar rondelet qu'il tendit à son acolyte, et sur lequel un petit point lumineux clignotait.
Le silence retomba, et les deux se dévisagèrent un moment.
-Alors ? Pour mon graphique ? tenta Hippolytain.
Magouille se releva précipitamment :
-C'est décidé : je repars au tripot ! annonça-t-il. Où est cette maudite perruque verte ?
Il quitta le bureau en pestant, sous le regard contrit de Saussurus.
-...Vous n'avez pas aimé mon graphique ? couina ce dernier au bout d'un moment.