Myosotis regarda à nouveau la liste des ingrédients que leur avait dicté le sorcier indien.

- Mmh.. Je vois... fit-elle, d'une voix experte.

- Tu connais ces trucs ? s'étonna Bibi, sur son épaule, de sa voix aigrelette.

La sorcière secoua la tête :

- Non pas du tout. Tu sais moi, dès que c'est pas du vaudou ou de la botanique...

- Vas-y, montre-moi ! J'veux voir !

Myo donna la liste à sa poupée, qui hocha la tête d'un air savant :

- Ah ouais ! Je vois !

- Tu connais ces trucs ? s'étonna sa maîtresse.

- Non pas du tout. Tu sais, moi, si c'est pas du vaudou...

- Oh dingue ! Comme moi !

- Ouais t'as vu !

- T'es pas ma poupée pour rien !

- Ah ah je me disais exactement la même chose ! C'est comme si nos âmes faisaient une communion spirituelle !

- Ça a une âme, les poupées vaudou ?

- Moi j'en ai une, mais techniquement c'est un bout de la tienne.

- Oh, tu m'en diras tant !

- Dingue, hein ?

- Ouais, t'as vu ?

Titus, que la rencontre avec son parrain n'avait pas rendu de meilleure humeur, regardait d'un œil torve l'échange hystérique entre la jeune femme aux cheveux et sa petite poupée de chiffons.

- Bon, dès que vous aurez fini de jacter, on pourra peut-être y aller, grommela-t-il au bout d'un moment.

Myo haussa les épaules, et s'élança vers la petite épicerie, au bout des Champs Z'Allons-Y.

- Heureusement que ton parrain hopi était là ! s'exclama-t-elle joyeusement. Pourquoi t'es fâché contre lui au fait ? Il a l'air sympa !

- J'pas envie d'en parler, répliqua le cowboy, qui marchait à côté d'elle, morose.

- Ok, il est un peu space, mais bon...

- J'pas envie d'en parler.

- Après tout, tous les Gammas sont un peu space ! Tu crois pas ?

- J'pas envie d'en parler.

- Oh, on est arrivé !

- J'pas envie d'en... ah. Ouais.

Myo jeta un regard narquois à Titus :

- Allez, viens, arrête de faire ta mauvaise tête.

- J'fais pas ma mauvaise tête.

Myosotis sourit. Elle avait l'habitude des humeurs de son meilleur ami, et ne s'en formalisait pas vraiment. Elle entra dans la boutique avec entrain, suivi de l'américain.

C'était une échoppe minuscule, encombrée de cartons et de piles de bric à brac qui oscillaient et ne tenaient littéralement que par magie. Des cadavres de canards douteux pendaient dans la vitrine.
Au milieu de tout ce bazar, un vieux monsieur asiatique, aux longs sourcils blancs et à la barbiche plus blanche encore, attendait, le dos courbé.

- Bonjour Monsieur San Sou Si ! lança la sorcière à la chevelure verte. Nous avons besoin d'un peu d'aide !

L'épicier plissa les yeux, et décréta, mystérieux :

- L'aide céleste ne convient qu'aux Dieux, mais ce n'est que de terre dont le scarabée a réellement besoin.

Myo cligna des yeux :

- Heu... ?

Titus leva les yeux au ciel :

- On veut ce qu'il y a sur cette liste, siffla-t-il.

Il prit la liste des mains de Bibi et la posa sur le comptoir de l'épicerie.

- Le papillon de nuit aspire à toucher la lune mais souvent le confond avec la bougie, rétorqua aussitôt le vieux sage.

- Gnééé ?

Les deux Gammas s'échangèrent un regard

- Ça veut dire oui ou non ? tenta Bibi de sa voix criarde.

Le vieux sage se pencha en avant, et déclara :

- La flamme de la bougie est vacillante mais parfois elle suffit dans l'encre de la nuit.

Une veine commença à palpiter dangereusement sur le front de l'américain :

-Écoutez Grand-père, NOUS VOULOIR INGREDIENTS DE CETTE LISTE !

- Si le rugissement du lion n'est pas entendu dans la solitude, même le bruissement de la fourmi est écouté dans le silence du désert.

Titus se mordit le poing d'énervement :

- Non mais je vais me le faire, je vais me le faire....

- Calme-toi, Tity, laisse-moi lui parler ! grimaça Myo, qui commençait à voir la situation dégénérer.

Elle se tourna vers San Sou Si et se pencha en avant en une courbette ridicule :

- Vénérable monsieur, nous souhaiterions... heu... obtenir les ingrédients de cette liste qui... heu... sont à nos yeux... disons... profanes aussi précieux que... que... que les œufs d'un dragon de jade !

L'épicier sembla réfléchir.

- Soit, décréta-t-il enfin.

Il prit la liste en main, s'éloigna un moment dans les minuscules rayonnages de sa boutiques, et, après quelques bruits étranges et quelques exclamations en chinois, il revint avec un sac bien rempli.

Il le posa sur le comptoir, et leva un doigt avisé :

- Mais si le riz dans les rizières pousse sans un effort, dans le bol du vénérable il ne parvient pas sans raison, décréta-t-il.

- Hein ?

- Le cœur du bambou n'est délicieux que si le facétieux panda parvient à l'en extraire.

- Quoi ?

- La plus précieuse des pierres n'a nulle valeur si elle dort au sein de l’inhospitalière montagne.

C'en fut trop pour Titus, qui dégaina sa baguette et la pointa sur le vieil asiatique :

- Écoute, pied-tendre, exprime-toi normalement où je te plante ma baguette dans le...

Myo lui fit doucement baisser son bras :

- Tity, je crois qu'il dit juste que ça sera pas gratuit... c'est ça ?

L'épicier hocha la tête et tendit une main horriblement ridée vers nos deux amis, paume vers le plafond.

- Heu...

La française se tapota dans les poches d'un air gêné.

- Et sinon, t'as de l'argent toi ? Parce que moi je suis complètement fauchée. Tout mon salaire part directement pour éponger mes dettes envers ma mère...

Elle leva un regard plein d'espoir vers Titus.

Le visage du ricain se tordit en un rictus furieux : il devait lui rester en tout et pour tout 3 gallions et 5 noises... Il farfouilla dans les poches de son manteau et en sortit une minuscule bourse de vieux cuir qu'il posa devant le vieux commerçant asiatique que le fixa à travers les fentes de ses paupières. Myosotis jeta un coup d'œil atterré à la minuscule quantité d'argent sorcier avant de se tourner vers le ricain :

-Quoi ?! fit ce dernier en haussant les épaules. C'est tout ce qu'il me reste...

Le vieillard entrouvrit la bourse de cuir et en examina rapidement le contenu. Il reporta son regard sur les deux amis et secoua la tête sans dire un mot. Les épaules du ricain s'affaissairent :

-Merde, on a besoin de ces ingrédients ! Vous pouvez pas nous faire une réduction, juste cette fois ?

Le vieillard soupira et posa un regard sévère sur le Gamma :

-Nos désirs sont comme les enfants, jeune sorcier... plus on leur cède et plus ils sont exigeants. On commence par un rabais, et un rien de temps, le client exige des échantillons gratuits et des semaines de solde !

Il alluma une longue pipe et exhala un nuage de fumée, sous le regard ébahi des deux Gammas.

-Pas bon pour les affaires, je regrette jeune homme. conclut-il inflexible.

-Donc en fait, vous parlez tout à fait normalement, grogna Titus en fronçant les sourcils. Vous avez pas besoin de faire des énigmes à deux ronds toutes les deux phrases, pas vrai ?

San Sou Si se figea, déstabilisé. Il se reprit rapidement :

-Le sage gagne toujours à taire ce qu'il n'est pas obligé de dire...

Exaspéré au dernier degré, Titus se tourna vers son amie :

-Bon, en gros c'est foutu, on a plus qu'à trouver une autre solution.

-...cependant... poursuivit l'épicier asiatique.

-Oui ? firent les deux sorciers de concert, le regard plein d'espoir.

-...quiconque apporte son aide au Grand Dragon de Jade, est béni de son souffle ardent.

Myo réfléchit un instant au sens des paroles du vieil homme alors que Titus tiquait de l'oeil, ulcéré par les proverbes à répétition. Finalement, la poupée vaudou juchée sur l'épaule de la Gamma prit la parole :

-Ce qu'il essaie de te dire, c'est que tu peux éviter de payer maintenant si tu lui rend un petit service plus tard.

Le ricain ne dit rien sur le coup, prudent. D'après sa propre expérience, les dettes étaient comme les crotales-caméléon : on passait à côté sans faire gaffe, et au moment ou on s'y attendait le moins, ils venaient te mordre le derche en traitre... et merde ! songea-t-il, littéralement à bout, voilà que je met à penser en proverbes, moi aussi !

-Bon, dit-il en pianotant nerveusement sur le comptoir, tentant de se calmer, en gros si je cède pas à son petit marché maintenant, on l'a dans l'os.

-Ben... hésita Myo.

-...ouais. finit Madame Bibi à sa place.

Titus soupira, vaincu :

-C'est bon, vieux fou... fit-il en lui tendant la main, signifiant ainsi son accord.

San Sou Si exhala un nouveau nuage de fumée puis examina la main du cowboy.

Il la saisit soudain, rapide comme l'éclair, à la stupéfaction des deux étudiants et de la poupée qui tomba de l'épaule de la sorcière chlorophylle. Alors que Titus et Myo, décontenancés cherchaient à dégainer leurs baguettes, le vieillard sortit la sienne le premier, refermant ses long doigts griffus sur le poignet du ricain qui tenta vainement de se dégager.

Il la planta dans la paume moite de Titus, et une vague lueur pourpre en émana l'espace d'un instant. San Sou Si relâcha immédiatement son étreinte, et le cowboy en profita pour le pointer de sa baguette :

-QU'EST-CE QUE VOUS AVEZ FOUTU, VIEUX MABOULE ?!

-Attends, Titus fit son amie en examinant sa main.

Le Gamma suivit son regard : dans sa paume, on pouvait voir un idéogramme chinois rouge sang. L'écriture semblait palpiter sur la peau, comme si elle était vivante.

Myosotis sortit de la boutique de San Sou Si, lorgnant sur la main que Titus tenait serrée en un poing tremblant, comme s'il voulait s'auto-broyer les phalanges.

- Ça te fait mal ? demanda au bout d'un moment la française, inquiète devant le mutisme furibond de son ami.

- Nan, grogna ce dernier.

Bibi, juchée comme d'habitude sur l'épaule de sa maîtresse, haussa ses minuscules épaules :

- Je suis pas sûre d'avoir compris ce que c'était exactement...

- C'est une putain de reconnaissance de dettes, siffla Titus. Des articles contre des ''services rendus''. Et je sens que ça va me coûter une blinde.

- Ah.

Tout en se roulant et en s'allumant une cigarette d'herbe magique de l'Oncle Bob, Myo songea qu'elle ne savait pas quoi dire pour remonter le moral de Titus

Elle était désolée de ne pas avoir pu payer, mais d'un autre côté, maintenant, ils avaient ce dont ils avaient besoin pour le rituel bizarre ! C'était mieux que rien, et il fallait s'en contenter. Et puis, au moins, Tity n'était pas tout seul dans cette galère : sa meilleure amie était là avec lui !

-Écoute, fit-elle gaiement, quoiqu'il te demande, on le fera à deux ! Ça peut pas être si terrible que ça après tout !

Mais cela ne sembla pas calmer le cowboy le moins du monde.

La fille-chlorophylle haussa les épaules, et les deux marchèrent en silence, côte à côte.

Oui, au moins ils avaient de quoi faire le rituel.
Le rituel censé les mener à l'abomination qui avait tenté de l'écharper à deux reprises.
Et qui avait menacé Titus lorsqu'il avait tenté de l'aider...

Myo frissonna, et elle se mit à paniquer.

Elle prit le sac à commissions des mains de l'américain, se précipita sur le premier banc venu, et s'y affala.

-Voyons voir ce qu'on a là... chantonna-t-elle d'une voix faussement joyeuse en farfouillant dans la poche.

Le cowboy ronchon se planta devant elle :

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je vérifie les ingrédients !

La jeune femme aux cheveux verts sortit un vieux bocal poussiéreux, au verre jaunis, qui semblait rempli d'yeux globuleux et reptiliens.

- Tu sais ce que c'est ça ? demanda-t-elle.

- Nan.

- Et ça ? demanda-t-elle en lui tendant un sachet transparent rempli d'une poudre bizarre et chatoyante.

- Nan.

- Et ça ?

- Bordel, Myo, on a pas le temps ! On doit rentrer et se mettre au rituel !

- Mais on est pas obligés de s'y mettre de suite ! Par exemple, moi je pensais passer voir le Dr Magouille : ce matin je lui ai envoyé un hibou pour lui demander s'il voulait bien venir au bal d'Halloween avec moi et je voudrais vérifier qu'il l'a bien reçu !

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? la coupa l'américain, qui n'avait aucune envie de parler du doyen maintenant. Faut qu'on commence ce rituel le plus vite possible ! Ça va pas se faire en cinq minutes, crois-moi !

Myo lança de grands yeux larmoyants à son ami :

- Oui mais... on est sûrs que c'est ce qu'on veut ?

Abasourdi, l'étudiant en Magizoologie cligna des yeux plusieurs fois :

- De quoi ?

- On a pas vraiment réfléchi, on s'est peut-être un peu précipité après tout...

- Mais de quoi tu...

- Tu es certain que tu veux vraiment retrouver ce monstre gigantesque et hostile qui en veut à l'évidence à ma vie ? couina-t-elle d'une toute petite voix, penaude, la lèvre inférieure pendante.

Titus soupira.

- Myo..

Une rafale de vent passa entre eux, et les deux levèrent la tête, les sourcils froncés.

- Dites... Ça sent pas le brûlé ? lâcha Bibi.

Myo et Titus se dirigent :arrow: DANS CETTE DIRECTION !