Lucrécya attendait en maugréant sur le petit terrain d'entraînement du bâtiment de Sports de l'université. Cela faisait de longues minutes qu'elle était là, toute seule, et elle s'ennuyait grave. Elle commençait à se demander si le message de Monsieur Sheraff n'était pas un faux.

Elle posa son balai étincelant à terre et s'assit en tailleur dans l'herbe, juste à côté d'une grosse masse remuante recouverte d'un drap blanc, autour de laquelle de nombreuses mouches voletaient.

Un grand gringalet aux cheveux beaucoup trop bouclés et aux yeux écarquillés s'approcha d'elle :

-S'lut. Tu viens pour le rattrapage ?

-Mouais, répliqua Lulu avec mauvaise humeur.

-Moi aussi !

-Passionnant.

Un silence éloquent suivit cette remarque.

-J'm'appelle Jacob Krakovski, j'veux devenir attrapeur professionnel ! Chuis un Pi Omicron Pi, j'viens de l'American Institute of...

-Et alors, qu'est-ce que ça peut bien me faire ? le coupa sèchement Lucrécya, en lui jetant un regard noir.

-Euh, non rien.

Le dénommé Jacob s'assit par terre et soupira.

Le silence retomba dans le calme du terrain. Deux ou trois étudiants finirent par les rejoindre, mais, heureusement, aucun ne daigna lui parler, ce que Lulu apprécia grandement.

Mais le temps lui paraissait long tout de même. Elle se sentait s'endormir, lorsque une voix enjouée aux accents orientaux s'éleva :

-Oh, Monsieur Krakovski, Mademoiselle Flynn, vous ici ? Mes deux plus grands déserteurs de ce début d'année ! Serais-je la malheureuse victime d'une hallucination ?

La batteuse et le Pi Omicron Pi sursautèrent.
Lulu se retourna : un homme d'une quarantaine d'années se tenait debout derrière elle. Grand et mince, il portait une longue robe de sorcier blanche, et cachait ses cheveux sous un keffieh assorti. Ses grands yeux noirs malicieux ressortait de son visage basané. Il jeta aux deux élèves un sourire on ne peut plus moqueur.

-Je suis votre professeur, Omer Sheraff. Alors, on daigne enfin montrer le bout de son nez en cours ? J'en suis ravi !

-C'est pas ma faute ! geignit le gringalet. J'ai été recruté par les Pi Omicron Pi le jour de la rentrée, et aussitôt, y'a des mecs tout musclés qui me sont tombés dessus en me traitant de saleté de tête d'ampoule ! Je suis sorti du coma seulement tout à l'heure !

-Mmh... soit, admit le professeur. Et vous, mademoiselle ?

Lulu réfléchit un moment. Il ne valait mieux pas lui dire de but en blanc qu'elle avait la flemme de venir, surtout depuis qu'elle avait réalisé que Kimberlie McCormick faisait partie de sa classe.

-Les Alpha Alpha Alpha m'ont envoyé en Transylvanie pour leur bizutage !

-Oui, ils m'ont mis au courant.

La petite brune hocha la tête :

-Ah, vous voyez !

-Ils m'ont aussi signalé que vous étiez rentré depuis cinq jours.

-L'important, c'est que je sois là maintenant ! déclama la jeune fille avec aplomb.

Sheraff ne put s'empêcher de sourire devant tant de mauvaise foi, et Lulu se sentit un peu rassurée : il n'avait pas l'air d'un mauvais bougre, après tout.

Il aperçut le drap remuant à côté d'elle, et son sourire disparut :

-Mais qu'est-ce que c'est que ça ?

Lucrécya tortilla ses mains, gênée :

-Euh... eh bien... comment dire... c'est... eheh vous allez rire...

Le professeur leva un sourcil, puis tira sur le drap. Il ouvrit aussitôt des yeux ronds :

-Mais...?!

Un malheureux quadrupède se tenait là, tête courbée, ses jambes tremblantes, griffues devant et sabotées derrière, ne le portant qu'avec peine. Il avait le poil mité, et ses grandes ailes avaient perdues la moitié de leurs plumes. Il tenta de lever la tête, regarda quelques secondes devant lui de ses yeux mi-clos injectés de sang... puis, fatigué par cet effort, laissa à nouveau tomber sa tête jusqu'à ce que son bec frôle le sol.
Des mouches en profitèrent pour bourdonner autour.

-Tadaaa ? tenta Lucrécya, un sourire factice aux lèvres. C'est mon... hippogriffe ? Je l'ai appelé Saleté de Bourrique !

Le prof cligna des yeux plusieurs fois, comme s'il espérait que la créature allait finir par disparaître.

-Saleté de Bourrique ?! Mais qu'avez-vous donc fait à ce pauvre animal ?! fit-il en se tournant vers Lulu.

-Moi ? Mais rien ! Je viens à peine de l'acheter ! Mais je crois que je me suis fait avoir ! Un bel hippogriffe tout neuf à prix cassé, qu'ils disaient sur la pub ! Et voilà ce que j'ai reçu ! Je crois qu'il doit avoir au moins mille ans, ce canasson !

Omer Sheraff prit une longue inspiration :

-Bon, oublions ce pauvre hippogriffe pour le moment... mais je ne saurais que trop vous conseiller de l'amener voir un étudiant en Magizoologie ! Pour l'instant, vous allez tous me faire un tour de terrain pour vous échauffer, et ensuite je vous apprendrai les bases du sport Moldu que nous avons étudié tout à l'heure en votre absence, le basketball. L'un de vous en connait-il les bases ?

Jacob leva la main, un sourire niais aux lèvres.

Et, sous le regard étonné de Lulu, de son prof et des autres étudiants sécheurs, le pauvre malheureux se mit à faire des claquettes avec une maîtrise et un talent qu'il ne se soupçonnait sans doute pas lui-même. Puis il se mit à siffler un air guilleret.


-Aaah j'arrive pas à m'arrêter !

Krakovski tomba à terre, sur le dos, mais ses pieds continuaient quand même à s'agiter dans les airs.

Sheraff soupira, et se tourna vers un étudiant :

-Vous, là, amenez le au dispensaire, soupira-t-il. Je commence vraiment à en avoir plein le chaudron de ce sortilège...

Lucrécya était fourbue.

Omer Sheraff, qu'elle avait trouvé fort sympathique de prime abord, s'était révélé être un vrai sadique.
Cela faisait bien deux heures qu'elle (et les trois autres étudiants qui avaient osé séché quelques uns de ses cours) couraient, rampaient dans la boue, grimpaient sur des cordes sans fin, se jetaient des balles en se servant de leurs baguettes comme d'une raquette de tennis, puis couraient à nouveau... mais par contre, aucun d'eux n'avaient eu le droit de grimper sur un balai.

Alors que tous entamaient leur vingtième tour de terrain en footing, Lulu soupira, et, courbaturée, les genoux écorchés, elle s'approcha de son professeur :

-Monsieur ! C'est quand qu'on commence à faire du Quidditch ?

Sheraff lissa sa fine moustache, et baissa les yeux sur elle :

-Du quidditch ?

Lulu hocha la tête :

-Oui ! Vous voyez, j'ai été élue meilleure joueuse de quidditch l'an dernier à Poudlard ! J'ai un véritable don avec une batte !

Alors qu'elle s'attendait à une ovation, voire même à des applaudissement, la batteuse n'eut droit qu'à un léger haussement de sourcil.

-Oui, je sais, c'est écrit sur votre dossier.

-Vous... n'êtes pas impressionné ? s'étonna la jeune fille, tombant des nues.

Le professeur soupira :

-C'est donné à tout le monde de monter sur un balai et de faire joujou avec une balle. Moi, ce que je veux vous apprendre, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul sport dans la vie ! Et surtout, je veux vous enseigner le dépassement de soi ! Je veux vous voir gagner là où tout le monde prédisait votre défaite. Le quidditch n'a aucun intérêt. S'il ne tenait qu'à moi, je ne l'enseignerai même pas.

La brunette resta interloquée un long moment. Elle n'arrivait pas à concevoir un monde où une seule personne n'aimait pas le plus populaire des sports sorciers.

-Mais mais mais... on va quand même en faire, hein ?

-Savez-vous que vous avez la carrure parfaite pour devenir jockey ? poursuivit le sorcier, en jaugeant la jeune fille du regard. Moi même je n'étais pas mauvais, j'ai gagné plus d'une fois des derby dans mon pays... mais j'étais tout de même trop grand. Vous pourriez faire une grande carrière !

-Mais mais mais... le Quidditch...

Sheraff esquissa un sourire en coin :

-Eh bien mademoiselle, je vous propose un défi : je ne vous laisserai pas faire de Quidditch en cours... tant que vous n'aurez pas assez soigné votre hippogriffe pour qu'il finisse une seule course sans tomber !

Lulu écarquilla les yeux, horrifiée :

-Vous voulez bien parler de cet hippogriffe là ?

Elle désigna la pauvre bête derrière elle, qui ne tenait debout que parce que sa tête touchait le sol.

-Oui.

Tout le désespoir du monde tomba sur les épaules de la jeune fille :

-Je ne referai jamais de Quidditch, gémit-elle.

Sheraff émit un petit rire moqueur :

-Voyons, il ne faut jamais dire jamais ! Vous pourrez vous entraîner autant que vous voulez avec votre fraternité ! C'est juste en cours que vous ne pourrez plus en faire !

Lucrécya leva un regard noir vers lui :

-Je vais vous montrer ! Saleté de Bourrique sera le meilleure hippogriffe de course que vous n'avez jamais vu, et je ne ferai plus que du Quidditch, quelque soit votre cours ! Je vais le guérir dès maintenant ! Allez viens, Saleté !

Elle tira la créature par la longe qu'elle lui avait passé autour du cou. L'hippogriffe se mit en marche lentement, et avança avec peine, plus lentement que l'aurait fait une tortue, sous le regard amusé du professeur.

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