Déprime hivernale
AVEC : Myosotis, Griselda
PRIVÉ / PUBLIC : public (sous réserves)
DATE : 23 Décembre

Depuis plusieurs heures, Myosotis errait comme âme en peine dans le campus, recouvert d'un épais manteau de neige immaculé. Elle avait quitté le Potiron aux aurores pour éviter de croiser qui que ce soit, et depuis, marchait lentement, sans but, le regard dans le vague.

Elle avait judicieusement camouflé sa chevelure sous une épaisse perruque rousse et bouclée, cadeau empoisonné offert par sa mère pour qu'elle ne passe plus pour un monstre vert. Myo n'aurait jamais cru qu'elle mettrait un jour cette perruque ; et encore moins dans ces circonstances. Mais il fallait avouer que c'était pratique : les gens avaient vu, sur cette fameuse picturine, que Magouille se vautrait dans le stupre et la luxure avec une étudiante aux cheveux verts. Tant qu'elle passait pour une rouquine, on lui foutait la paix.

La fille-chlorophylle renifla, et essuya ses yeux. Ces derniers étaient gonflés et cernés, et pour cause :  la nuit précédente, elle l'avait passée à pleurer, enfermée à double tour dans sa petite chambre au sommet du Vénérable Potiron, le nez collé à la vitre jaunie de la fenêtre.

Elle avait merdé, et elle l'avait fait en pleine conscience. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. C'était sa faute, au fond, si tout le monde savait qu'elle avait couché avec Magouille. Le truc dont elle avait le plus honte avait été révélé devant les yeux de tous les étudiants. Et le plus étrange là-dedans... c'est qu'elle s'en foutait. Elle s'en foutait royalement. Que tout le monde le sache, que tout le monde en parle, que tout le monde se moque d'elle sur son passage : qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ?

Parce que la seule chose qui la touchait, au fond, c'était Titus.

Elle se mordit la lèvre inférieure, tandis que son ventre se nouait encore davantage.

Qui aurait cru qu'il détestait autant Magnus ? Myo savait qu'il avait de l'animosité à l'égard du Doyen, mais elle n'aurait jamais cru que c'était à un tel point. Au point de ne plus jamais vouloir adresser la parole à sa meilleure amie.
Est-ce que si elle l'avait su avant, ça aurait changé quoique ce soit ? Est-ce qu'elle aurait résisté à Magnus ? Peut-être. Mais sans doute pas. Parce qu'elle n'était qu'une idiote de junkie incapable de faire les bons choix. Elle n'était bonne qu'à verser des larmes, après coup, sur les vestiges d'une amitié dévastée.

Les jambes flageolantes, elle dut s'asseoir sur un banc de pierre blanc de givre, histoire de reprendre ses esprits. Elle prit son visage entre ses mains gantée. Elle était tellement perturbée qu'elle ne sentait même pas le vent glacé sur elle.

- Tu devrais peut-être aller te réchauffer... suggéra Bibi, sur son épaule, couverte de toutes nouvelles coutures héritées du combat contre Malicia.

- Pas envie.

- Ou alors manger un truc ? T'as rien avalé depuis trois jours !

- Pas faim, souffla la semi-dryade à voix basse.

La poupée n'insista pas, et la sorcière ferma les yeux. Elle était lasse. Elle se sentait seule. Elle ne savait plus quoi faire.

-HEY SALUT CHLOROFILLE ! CA VA BIENG OU BIENG ?! fit quelqu'un à accent irlandais.

-T'AS FAIT UNE COULEUR ? C'EST RIGOLOLOLO LE ORANGE ! répliqua une voix similaire.

La semi-dryade ouvrit des yeux surpris, et tomba nez à nez avec les deux visages lunaires et identiques du duo Gri et Zelda. Les deux lui lançaient un sourire tout en dents, visiblement ravie de la voir.

- Heu... balbutia Myo. Bonjour ?

Elle ne s'attendait pas à ce que quelqu'un lui parle aussi gentiment et normalement. Il n'y avait guère plus que Kim pour le faire à présent.

- Tu tombes bien ! dit l'une.

- Tu vas nous aider ! décréta l'autre.

Et, sans lui demander son avis, chacune des deux tirèrent d'autorité un des bras de la fausse rouquine, et la forcèrent à se lever de son banc.

Les deux jumelles avaient tiré Myo jusqu'au pub, et l'avait fait asseoir à une petite table isolée sans que la chlorofille n'ait son mot à dire. Puis les Irlandaises s'étaient installées en face, toujours en souriant.

Le pub était bondé. Il y avait des étudiants partout, de toutes fraternités, qui papotaient, buvaient chocolats chauds et bierraubeurres et rigolaient entre eux, comme si la guerre qu'ils avaient connus quelques jours plus tôt n'avait jamais eu lieu.

Gri et Zelda écarquillèrent encore davantage leurs yeux pourtant déjà globuleux.

-Wouah y'a du monde ! Lança l'une.

-C'est parce que y'a plein d'étudiants qui s'y prennent au dernier moment pour acheter leurs cadeaux de Noël. Précisa l'autre.

-Heureusement, nous on s'y est pris en avance !

-On a acheté un collier à niffleur en or pour lethifold ! On s'est ruinées, mais ça valait le coup !

-Et aussi une brosse à cheveux pour Kimikim, ça peut pas lui faire de mal ! On s'est pas trop ruinées pour ça, mais ça vaut quand même le coup !

Les deux gloussèrent du même rire perturbant.

Myosotis avait l'air mal à l'aise. Elle se camouflait de plus en plus derrière ses faux cheveux roux, les yeux rivés sur la table.

-Euh... c'est pour me raconter ça que vous m'avez amené ici ?

-Ahah non t'es bête !

-C'est parce que tu dois nous aider !

-Oui, vous me l'avez déjà dit, ça. Mais vous aider à quoi ?

-A nous départager ! S'exclamèrent en choeur les Irlandaises.

-Pour ça il faudrait déjà que je sache faire la différence entre vous, soupira la Gamma.

Les deux cinglées ouvrirent leurs yeux plus grands encore.

-QUOI ? Tu ne sais pas nous reconnaître ?

-Ca serait déjà plus facile si vous vous habilliez pas pareil, fit remarquer d'une voix criarde la petite poupée sur l'épaule de Myo.

Les deux clones secouèrent la tête en parfaite synchronisation.

-On est pas habillées pareil du tout ! Mon manteau est bleu turquoise !

-Et le mien est bleu cyan !

-Ah ben oui, forcément... marmonna Myo.

-Bref, arrête de papoter pour rien dire, on a besoin de ton aide pour nous départager !

La française lança un regard à sa poupée, qui haussa ses petites épaules. Puis elle soupira.

-Ok, c'est quoi votre problème ?

L'une des Griselda leva un doigt.

-Hier hier hier, on était dans le QG des Pi Omicron Pi, tranquilou et tout... Et là PAF !

Elle avait hurlé le « PAF » en cognant son poing sur la table. Myo sursauta.

-Euh... PAF ?

-OUI ! PAF ! Y'a Om qui m'a demandé d'aller au bal avec lui !

La dryade se gratta le sommet du crâne.

-Oui ? Et donc, votre problème, c'est que.... ?

-Ben, il a dit : « Griselda, tu veux venir au bal avec moi ? ». Sauf que moi c'est Gri ! Précisa Gri.

-Et moi c'est Zelda ! Gloussa Zelda.

-Donc c'est moi qui doit y aller !

-Non c'est moi !

-Non, c'est moi la plus belle !

-Et moi je suis la plus charismatique !

-Je le mérite plus !

-C'est pas vrai !

Les deux arrêtèrent deux secondes de se chamailler et se tournèrent vers leur amie, de l'espoir dans le regard.

-Alors on a décidé que c'était toi qui devais départager : qui doit aller au bal avec Om ?

- Hein ?!

Myo fronça les sourcils, toujours verts sous sa frange rousse.

Qu'est-ce qu'elle en savait, elle, de laquelle des deux clones de Griselda devait aller au bal ! Elle-même n'y allait pas. Et pourtant, l'année passée, la fête avait été géniale. Fallait dire qu'elle y avait été avec Titus. Et ils s'étaient bien marrés... enfin... jusqu'à ce que l'arbre de Noël géant prenne vie et tue des dizaines d'innocents, bien sur. Mais bon, quand on zappait cette partie, ça restait quand même un super souvenir.

La jeune femme se sentit devenir mélancolique.

- Alôôôrs ? insista l'une des Griselda.

Myo sortit de sa rêverie :

-Ben... Heu...

Elle souffla. Elle se fichait bien des problèmes de bal de la cinglée multipliée. Elle avait vraiment d'autres trucs en tête. Néanmoins, elle lança :

- Pourquoi vous choisissez pas au hasard? Ou alors faites un combat de parchemin-caillou-ciseau.

Les deux irlandaises maigrichonnes secouèrent la tête de concert :

- On a déjà essayé !

- Mais on arrive pas a se départager.

- Regarde on va te montrer !

Elles se mirent face à face, main droite dans le dos :

- Parchemin caillou ciseau ! s'exclamèrent-elles en choeur. On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejouons ! Parchemin caillou ciseau ! On non ! On a fait toutes les deux ''ciseau'' ! Rejou...

- Stop! s’écria la semi-dryade, à bout de nerfs. Mais pourquoi l'une d'entre vous ne fait pas autre chose que ciseau, à la fin ?!

Les garçonnes dévisagèrent la française, choquées, comme si elle venait de dire une énormité.

- Faire... faire autre chose que ciseau ? articula la première Irlandaise, blême.

- Non mais t'es pas bien ou quoi ?! cracha méchamment la seconde, furibonde.

Bibi sauta sur la table, et croisa ses minuscules bras :

- Et pourquoi vous y allez pas toutes les deux avec l'autre crétin, et on en parle plus ? trancha-t-elle.

Les deux louchèrent sur la petite poupée :

- Oh ! Une doxy qui parle !

- Chuis pas une doxy ! se vexa Bibi. Chuis une poupée vaudou vivante !

Mais les clones ne l'écoutaient pas :

- Tu aurais pas des liens de parentés avec des reptiliens ? Eux aussi sont polygames !

- Ou alors tu fais partie du complot mondial des extraterrestres de la planète Vulcain !

- Oui ! Ils veulent déstructurer les couples sorciers pour mener notre civilisation au chaos ! Tu entends ? AU CHAOS !

- Et c'est la raison pour laquelle il ne faut qu'un cavalier pour une cavalière !

- Ou à la limite un cavalier pour un cavalier, ou une cavalière pour une cavalière !

- Ou vice et versa !

- C'est pour inverser la polarité chaotique des reptiliens vulcains !

La poupée cligna des boutons qui lui servaient d'yeux :

- Quoi ?!

- Laisse tomber Bibi, lâcha Myo, elles sont tarées.

- Je préfère le terme de schizophrène érotomane en manque affectif, siffla l'une.

- Moi tarée ça me va, chantonna l'autre.

- Et maintenant trouve-nous une solution, firent les deux d'une seule voix.

Elles croisèrent les bras et fixèrent la chlorofille avec obstination.

Cette dernière soupira une fois de plus.

- Mais j'en sais rien moi ! Gri y va avec Om et vous avez qu'à trouver un deuxième cavalier pour Zelda, un truc du genre ! Qu'est-ce que j'en sais moi !

Les deux se jetèrent un regard... puis poussèrent une clameur de joie, et applaudirent avec force.

- Oh mais oui !

- C’était si simple !

- Trop simple pour nos cerveaux de génie Pi Omicron Pi !

- Il fallait une cervelle comme la tienne pour y penser !

La Gamma se renfrogna :

- Dites que je suis bête aussi, tant que vous y êtes !

- Ouip c'est ce qu'on vient de dire ! confirma l'une.

- Mais en tout cas merci merci merci ! Gloussa l'autre.

- De rien, répondit machinalement la française.

- Oui merci merci merci de te proposer pour trouver un cavalier à Zelda ! ricana la POP. Je vais en profiter pour aller me payer un verre de vin chaud aux épices ah ah. Je vous laisse entre filles papoter de ce que veut Zelda pour son cavalier idéal. Salut !

- De ri.. Heu attends ! QUOI ?!

Mais Gri était déjà partie au bar. Et en face de Myosotis, Zelda lui souriait de toutes ses dents.

La POP  fixait Myosotis depuis de longues minutes déjà, sans qu'aucune des deux ne disent un seul mot. La jeune femme aux-cheveux-verts-cachés-sous-une-perruque-rousse finit par enfouir son visage entre ses mains en soupirant, l'air fatiguée.

-Oh bordel.

-Ça y est tu m'as trouvé quelqu'un quelqu'un quelqu'un ? S'esclaffa la follasse, en écarquillant ses yeux inquiétants.

-Hein ? Mais comment veux-tu qu'en trente secondes je te trouve déjà un-

Myo se redressa et souffla.

-Bon, peu importe. Écoute Griselda...

-Zelda.

-Oui... Zelda... euh... écoute, le prends pas mal, mais je ne compte pas te trouver de copain.

-Ah mais j'ai pas envie d'avoir un copain, moi ! Gloussa l'irlandaise. Je suis pas comme Gri : je suis une jeune femme forte et fière, je me suffis à moi-même, et moi seule suis maîtresse de ma destinée ! Je veux un cavalier pour le bal, c'est tout ! Pour pouvoir danser dans une jolie robe et boire du ponch de Nawël !

-Ah ?

-Alors maintenant, trouve-moi un cavalier, ordonna-t-elle.

Myosotis grimaça.

-Mais pourquoi moi ? Geignit-elle.

-Ahah ! C'est une excellente question. Peut-être c'est parce que je me reconnais en toi !

La Gamma ouvrit des yeux horrifiés, comme si l'idée qu'elle pouvait avoir quelque chose en commun avec la garçonne à la santé mentale trouble lui glaçait les sangs.

-Tu te reconnais en moi ?!

-Tout à fait fait fait ! Mon Lethifold te le confirmerai s'il n'était pas alité avec de la fièvre, le pauvre. Moi même je suis gérontophile : je suis follement amoureuse de mon psychémage, le Dr Froud, et je veux qu'il devienne mon amoureux. Et comme tu le sais certainement, le Dr Froud est aussi ridé et aussi moustachu que ton petit-ami.

-C'est pas mon petit-ami ! Répliqua froidement la fausse rousse.

Elle réfléchit une seconde.

-Attends voir... Mais je croyais que tu étais une jeune femme forte et fière qui se suffit à elle-même, et que tu voulais pas de copain ! Et maintenant tu veux que ton psychémage devienne ton copain ? Tu te contredirais pas un peu ?

Zelda esquissa une moue boudeuse qui la fit ressembler encore davantage à un crapaud.

-C'est pour ça que c'est si douloureux ! Mais ne t'inquiète pas pour moi, j'ai tout prévu ! Après tout, je l'aime et il m'aime, c'est un amour partagé, malgré nos 80 ans de différence ! Même que j'ai pris Arts de la Psyché exprès pour devenir son assistante une fois que j'aurais mes diplômes, et lui, il sera mon mentor d'amour, il m'apprendra tout, et on s'aimera comme des fous, comme des soldats, comme des stars de picturines, mais il continuera à voir d'autres patients, alors au début je serai compréhensive mais petit à petit, rongée par l'ennui et la jalousie, je serai forcée de passer à l'acte, et je commencerai à faire fondre des pastilles d'essence de Musard concentrée dans la soupe à l'oignon et au pistou que j'aurais pris l'habitude de lui servir chaque soir depuis des années. Évidemment le deuil sera douloureux, mais je resterai forte, et puis mon Lethifold Lethifold m'aidera beaucoup dans ces moments dramatiques. Je n'aurais plus qu'à trouver un nouveau psychémage pour s'occuper de mon cas, et à recommencer tout exactement pareil ; j'ai déjà prévu les stocks de musards.

Un long silence lourd de sens s'ensuivit.

-Oh bordel, répéta Myo, en plaquant ses mains sur ses yeux. Tu es cinglée !

-C'est bien pour ça que je consulte un psychémage, voyons ! Répliqua joyeusement Zelda. Et encore, moi je suis presque guérie : tu verrais l'état psychologique de Gri ! C'est un foutoir foutoir foutoir dans son cerveau !

-Et c'est pour ça que tu fais chier Myo et pas quelqu'un d'autre ? Siffla la petite poupée vaudou. Parce que tu crois voir une vague ressemblance dans vos goûts pour les mecs ?

-J'ai dit peut-être !.... mais en fait non. Tu veux savoir pourquoi je t'ai choisi pour que tu m'aides ?

Myo hocha la tête.

-Dis toujours ?

-Pourquoi je t'ai choisi toi et pas une autre ?

-Ouais.

-Pourquoi toi, ET TOI SEULE, a le pouvoir, et le devoir de venir en aide à mon irradiante irlandicité ?

-Elle t'a dit oui ! Cracha Bibi.

Zelda hocha la tête.

-D'accord, Dodo la Doxy, j'avoue tout. Je t'ai choisi, Chlorofille, parce que t'es la première personne sur laquelle je suis tombée en sortant de chez moi. Et maintenant, trouve-moi un cavalier avant que je m'énerve !

Elle sourit de toutes ses dents à Myo, dont les épaules s'avachirent davantage.

-Oh... Bordel...

- Alors ? T'as trouvé ? Alors alors alors ? Tu m'as trouvé un cavalier ! Chlorofille ! Hey hey ! Tu m'as trouvé un cavalier, dis dis ?

- Oh bordel, marmonna Myosotis entre ses dents, pour ce qui devait bien faire la centième fois.

Zelda était folle, c'était un fait. Et même si Myo parvenait, en dessous de ses innombrables couches de déviance mentale, à la trouver un minimum sympathique, il lui faudrait tout de même un putain de gros miracle de Noël pour lui trouver un cavalier pour le bal, et ce, à quelques heures dudit bal.

Il fallait dire que Griselda n'était pas... comment dire... un modèle de beauté. Elle était pas siiii laide (...quoique...)  mais sa façon de fixer les gens sans cligner ses gros yeux globuleux, ses cernes constantes, son teint jaunâtre, son absence de poitrine et sa coupe de cheveux improbable pouvait rebuter les hommes.

Et puis, il n'y avait pas que ça : avec un bon maquillage et une nouvelle coiffure, on pouvait arranger certaines choses. Par contre, tous les artifices du monde ne pourraient jamais cacher à quiconque que cette fille était totalement zinzin. Aucun mec avec une santé mentale digne de ce nom ne pourrait accepter d'approcher l'Irlandaise à moins de deux mètres, sans une arme contondante au cas où. Ou alors, il fallait être pathétiquement désespéré, comme semblait l'être Om.

Myo soupira une nouvelle fois, alors que Zelda s'agitait sur sa chaise en face d'elle. Elle n'avait aucune idée de où elle pourrait trouver quelqu'un de désespéré à ce point. Et, surtout : elle n'avait aucune envie de trouver quelqu'un de désespéré à ce point. Elle voulait simplement qu'on lui fiche la paix, histoire qu'elle puisse retourner se coucher, fumer des pétards sous sa couette et pleurer jusqu'à ce qu'elle s'endorme enfin.

- DIS DIS DIS ! Tu m'as trouvé un cavalier ! Chlorofille ! Hey hey ! Tu m'as trouvé un cavalier, hein ? T'as des idées ?

- Je...

- Ne me mens pas, je le saurais, je suis légilimens ! s'exclama la POP.

- Heu... je...

Quelque chose tintinnabula au fond de sa poche, et la fille-chlorophylle sortit son miroir à double sens, qui scintillait.

- Si c'est encore Magouille, réponds pas ! Ou mieux : envoie-le paître ! lança Bibi.

- Non, c'est Kim !

Myosotis décrocha, et sourit en voyant le visage de la métisse dans le reflet.

- Oh Kim ! Tu ne sais pas à quel point tu me sauves la vie ! lança-t-elle.

- Rousse ! s'écria Kimberlie, choquée.

- Ah... euh... oui. Ne fais pas attention à ça, c'est une perruque de toute façon. Alors, qu'est-ce que tu veux me dire ? Dis moi que c'est urgent que je dois venir te voir, SEULE !

La batteuse sembla gênée, ce qui n'était guère dans ses habitudes.

- Myo... il y a quelqu'un qui m'a...

- MA JOUFFLUE ! C'EST TOI !

Zelda sauta sur le bras de Myo, et plaqua son visage tout contre le miroir en gloussant. Elle déblatéra à toute vitesse :

- Rentre chez nous, Kimikim ! Je te promets que nous serons heureuses toutes les trois et Lethi !

- Bon sang, Gri ! C'est moi que Kim appelle ! Va s'asseoir à ta place !

Myo repoussa l'Irlandaise, qui maugréa :

- Moi c'est Zelda !

- Tu peux parler, Kim, dit alors Myosotis, bienveillante.

- Je ne parle pas avec elle à proximité, fit Kimberlie, pas rassurée. En tous cas... j'donne pas de noms... En fait, j'aimerais bien que tu me rejoignes chez mon frère là. Je suis entrain de péter une durite ! Y'a quelqu'un qui m'a demandé d'aller avec lui au Bal !

Myosotis lui lança un sourire sincère :

- Oh mais c'est génial ça, Kim !

- Ouais, ouais, on va dire ça. Je lui ai dit que j'allais avec Titus à ce Bal de toute manière. Mais depuis je...

Le sang de Myo se glaça, et une nouvelle fois, elle eut l'impression horrible qu'on venait de la poignarder en plein cœur. Elle blêmit :

- Qu-quoi ?

- Quoi « quoi » ?

- Tu... tu vas au Bal avec Ti-Titus ?

- Oui, oui. Il m'avait dit qu'il n'avait pas de cavalière pour le Bal, je n'voulais pas le laisser seul c'est tout. Je pensais que tu étais au courant.

- Non... je n'étais pas au courant. Écoute, Kim... je dois te laisser.

- Tu passes hein ?

- A plus tard.

La semi-dryade raccrocha, les yeux perdus dans le vague, plus pâle que jamais.

Zelda tapa dans ses mains :

- Maintenant qu'on en a fini avec les affaires sans importance de Joufflu, il est temps de s'intéresser à mon cavalier !

Bibi, qui connaissait bien sa maîtresse, leva sa petite tête vers elle, inquiète.

- Myo ? Ça va ?

La jeune femme hocha lentement la tête, machinalement. Mais quelque chose n'allait définitivement pas. Le mal de ventre qu'elle ressentait depuis trois jours s'était accentué, et elle se sentait l'envie affreuse de fondre en larmes, sans savoir exactement pourquoi.

- J'en veux un beau, riche et célèbre, mais pas aussi beau que moi pour pas éclipser ma beauté légendaire ! poursuivait inlassablement Griselda.

Kim allait au bal avec Titus. Ok. La belle affaire ! Après tout ils étaient amis, et Myo y était bien allé en ami avec le cowboy l'an passé, et y serait certainement retournée avec lui cette année aussi si Malicia McGuire n'avait pas révélé au monde sa liaison avec Magouille...

- Je veux qu'il soit roux avec une petite cicatrice en forme de banane sur la joue gauche !

Et puis, Titus et Kim étaient tous les deux adultes, et ils faisaient ce qu'ils voulaient. Qui était-elle pour juger ? En plus, Kimberlie était super jolie. Du genre, vraiment, vraiment jolie. Elle n'était pas  hyper féminine et tout le tralala, mais une fois en robe de bal, toute pomponnée et tout, c'était sûr que pas un mec ne lui résisterait...

- Je veux qu'il ait un œil de verre et une jambe de bois !

Et s'ils tombaient amoureux, elle ne pourrait que se réjouir pour eux ! Après tout, c'était ses deux meilleurs amis ! Et puis, qui disait qu'ils ne l'étaient pas déjà, amoureux ? C'était même sans doute pour ça que l'américain avait demandé à la métisse de l'accompagner ! Et ben, si c'était le cas, c'était encore plus génial, et elle devait être contente pour eux ! Super contente !

Mais pourquoi elle n'arrivait pas à être contente du tout ?!

Et pourquoi elle n'arrivait plus à respirer ?!!

- Mais surtout, je veux qu'il aime Lethifold comme si c'était son propre fils ! Sinon, quel intérêt d'aller danser avec un rustre Lethiphobe, je te le demande...

- Je me sens... bizarre... murmura Myo, inspirant de manière saccadée.

- Qu'est-ce que t'as ? fit sa poupée en sautant sur son bras.

- JE ME SENS BIZARRE !

Toutes les conversations alentours stoppèrent net, et le regard de tous les clients se tournèrent vers la fausse rousse, qui respirait à petites bouffées, paniquée.
Se sentant d'un coup le centre d'attention du pub, elle rougit violemment, jusqu'à prendre une teinte proche de celle de sa perruque, se leva précipitamment, et se rua aux toilettes.

- Ah ouais, ça m'arrive souvent aussi, commenta Zelda, restée seule.

Marcus était accoudé au comptoir du bar, l'air défait. Il fixait avec lassitude son verre de whisky pur feu, qui brûlait d'un feu vert émeraude.

-Comme je te le dis, mon gaillard... grogna-t-il.

-Och Ech, m’gars... marmonna le barman Cormac McCormac, de son incompréhensible accent écossais, en essuyant de son tablier sale une chopine vide.

-Ouais. Elle m'a planté.

-C'dur ça...

-Le jour même du bal... Alors que j'ai prévu un costume qui déchire tout !

-C'la vie, m'gars...

Flint but son verre cul sec, grimaça, et s'essuya d'un revers de bras :

-Et maintenant j'dois trouver une cavalière de dernière minute, pour pas me faire chambrer par les gaillards de Pi Omicron Pi.

Le barman renifla :

-J'connois qu'un r'mède pour c'ci, m'gars.

Il agita sa baguette, et le verre de Marcus se remplit à nouveau. Reconnaissant, le PAF le but aussitôt.

-Non, mais sérieux ! Où j'vais trouver une cavalière, maintenant ? Le bal commence dans quelques heures, et même les plus moches doivent être prises !

-Si tu cherches une cavalière, j'en ai une pour toi ! gloussa à son oreille une voix aux intonations irlandaises.

Marcus tourna vivement la tête, et se trouva nez à nez avec Griselda, qui le fixait en souriant.

-J'ai aucune envie d'y aller avec toi O'Neil!

-Ah mais c'est pas moi qui ait besoin d'un cavalier ! Moi j'y vais avec Om Om Om !

-Sans dec ? Et tu connais une fille libre ?

-Oui !

-Qui ça ?

-C'est une surpriiiiise !

En gloussant, la follasse au Lethifold attrapa le bras du PAF et, slalomant entre les nombreux étudiants présents, l'amena vers une table, au fond.

-Zelda, devine quoi quoi quoi ? Je t'ai trouvé un cavalier ! ricana la cinglée, en s'asseyant.

Marcus baissa les yeux vers la personne à qui elle parlait... et tomba nez à nez avec Griselda, qui le fixait en souriant. Il soupira :

-Rha, j'avais oublié qu'elles étaient deux, ces folle-dingues... maugréa-t-il dans sa barbe.

Il se tourna vers les deux filles :

-Ecoutez Griselda... et.... Griselda... Y'a pas moyen qu'j'y aille avec l'une de vous. Chuis pas si désespéré !

Les deux irlandaises se jetèrent un regard amusé.

-Ok. Bonne chance pour trouver une cavalière de dernière minute ! chantonna la première.

-Je suis sûre qu'il y a pleine d'Insuffisantes encore libres ! acquiesça la seconde.

Marcus fronça les sourcils, et geignit pendant de longues minutes. Finalement, il grogna.

-Bon, ok, ok, je suis si désespéré,  grommela-t-il de mauvaise grâce. Mais j'dois quand même demander l'autorisation à Lucrécya.

Il sortit son miroir à double sens, et prononça :

-Lucrécya Flint.

Le visage de Lulu apparut sur la glace, des lunettes 3D en carton vissées sur le nez :

-Quoi ?! Fais vite, y'a ma picturine qui va commencer.

-Dis, Luluchou... tu vas toujours au bal avec Malicia ?

-Ouaip, et j'compte pas changer d'avis ! trancha la brunette, en fourrant une grosse poignée de pop corn dans sa bouche.

-Alors, tu t'en fiches que j'y aille avec quelqu'un d'autre ?

-Quoi ?! Tu veux y aller avec une autre fille ?!

Marcus haussa les épaules :

-Ben... ouais... Tu m'autorises ?

La face de l'AAA devint rouge de colère :

-Je te préviens, si elle est plus jolie que moi, je te...

-C'est Griselda O'Neil.

La jeune femme stoppa net sa colère. Elle resta interdite une seconde, puis partit dans un fou rire de sa voix éraillée.
Marcus attendit de longues minutes que l'hilarité de sa femme se calme, puis, voyant que ça n'arrivait pas, préféra raccrocher.

-Je vais prendre ça pour un oui.

Il se tourna vers Zelda, et soupira, dépité comme jamais.

-Bon, on se voit ce soir. Par contre, si t'amènes ton chiffon sale et puant, j'te laisse en plan ! siffla-t-il, avant de faire demi-tour et se s'éloigner en grommelant.

-Ok !

Les clones le regardèrent s'éloigner.

-Qu'est-ce qu'il a voulu dire par ''chiffon sale et puant'', à ton avis ? demanda l'une.

-Je sais pas. Je demanderai à Lethifold : lui il a toujours réponse à tout !

Les deux acquiescèrent en même temps.

Myosotis s'était assise sur le sol des toilettes pour fille du Scroutt&Niffleur, adossée contre le carrelage blanc et froid du mur. Elle reprenait lentement son souffle, les mains passées autour de ses genoux, le visage totalement enfoui sous les longues mèches rousse de sa perruque.

- Tu te sens mieux ? demanda Bibi, juchée sur son avant-bras.

- Je sais pas... Oui... Probablement...

La semi-dryade soupira, et releva la tête, posant sa nuque contre le mur.

- C'était juste une petite crise de panique... murmura-t-elle.

- Moui.

- Je sais pas pourquoi, mon cœur s'est emballé tout seul...

- Moui.

- C'est sans doute à cause de toute cette foule... et de ce qui s'est passé dimanche et tout...

La petite poupée soupira, et croisa ses petits bras.

- Vraiment ?

- Bah, quoi ?

- Sérieusement, Myo ? Tu piges toujours pas ?

La fille-chlorophylle regarda sa poupée, un air d'incompréhension dans les yeux.
Bibi secoua la tête, et soupira longuement.

- Myo, tu crois pas que t'es un p'tit peu jalouse de Kimberlie ?

- Qu... quoi ? Jalouse ? Moi ?

- Oui, répondit sans équivoque Bibi.

La française cligna des yeux, comme si elle avait du mal à se faire à cette idée. Finalement, elle la rejeta en bloc :

- C'est complètement idiot ! Je n'ai aucune raison d'être jalouse !

- Ah oui ? insinua sa poupée, peu convaincue.

- Tout à fait ! s'enflamma la jeune femme. Si Titus veut aller au bal avec Kim, grand bien lui fasse ! Je m'en contrefiche !

- J'en suis sûre... ironisa Bibi.

- Et puis pourquoi je m'en soucierais ? Est-ce qu'il se soucie d'avec qui j'y vais ?!

- Si tu veux mon avis, je pense qu'il s'en fiche pas tant que...

- Ouais exactement, il s'en fout ! trancha Myo, sans écouter son amie de chiffons. Il me l'a dit lui-même dimanche ! Il se contrefout d'avec qui je sors !

- Mais j'pense qu'au contraire...

- ET PUISQUE TOUT LE MONDE SE FICHE DE QUI VA AVEC QUI A CE FOUTU BAL, Y'A AUCUNE RAISON QUE JE N'Y AILLE PAS ! cria soudain la semi-dryade, en frappant un poing sur le sol dallé.

Une étudiante, qui venait de rentrer dans les toilettes, sursauta, et regarda bizarrement la Gamma. Puis, les yeux ronds, elle trouva plus prudent de faire demi-tour.

- Myo, tu devrais peut-être te calmer ? proposa la poupée.

- MAIS JE SUIS CALME !!! JE N'AI JAMAIS ÉTÉ AUSSI CALME DE TOUTE MA CHIENNE DE VIE !!!

- Ah ben oui ça se voit...

La fille-chlorophylle se leva, une lueur déterminée dans le regard, les poings serrés, tremblante d'une rage qui ne lui était définitivement pas habituelle.

- Heu, Myo ? Tu comptes faire quoi exactement ? s'inquiéta Bibi, en s'agrippant à sa manche.

- J'VAIS ME PREPARER POUR LE BAL ! s'écria-t-elle, les dents serrées.

La poupée secoua la tête :

-  J'ai un mauvais pressentiment, là... marmonna-t-elle.

Mais la jeune femme n'écoutait déjà plus : furibonde sans savoir exactement pourquoi, elle sortit des toilettes, non sans claquer la porte derrière elle.


 :arrow: direction place MMM !