Myosotis était rentrée chez elle, épuisée. Sans nul doute le contrecoup de la ganja énergétique hypermotivante qu'elle avait fumée pendant le Club de Duels, pour venir en aide à Titus.

Comme elle était trop amorphe pour faire quoique ce soit de plus fun, elle entreprit de faire ses devoirs en retard, penchée sur l'unique table branlante de son petit studio délabré. Mais au bout de longues heures infructueuses, elle dut se rendre à l'évidence : elle bâillait trop pour se concentrer.

Elle avait encore du boulot à faire pour améliorer la Ganja Myosotiana Motiviana, songea-t-elle en caressant une de ses plantes d'herbe magique, posée sur le bureau. Effectivement, ça donnait un coup de pêche immédiat, mais quand l'effet s'estompait on n'avait qu'une envie : s'affaler et dormir douze heures d'affilée.

Elle enfila un pyjama qui n'était plus de son âge mais qu'elle adorait pourtant (une horreur rose à motif d'hippogriffes enjoués, tout droit sorti d'une illustration pour enfants d'un auteur japonais qui n'avait à l'évidence jamais vu d'hippogriffe de sa vie). Puis, Madame Zombie dans ses bras, elle se laissa tomber sur l'antique sommier de son lit, qui grinça son mécontentement.

C'était un lit horrible : il était étroit, trop court pour elle, dur comme le béton, glacé en hiver et brûlant en été. Et à chaque mouvement, même le plus subtil, un grincement qui rappelait un cor de chasse sous sonorus s'élevait des ressors fatigués. Bref, Myo le détestait, et dès qu'elle le pouvait, squattait un des lits plus douillets du Grand Potiron.
Pourtant, ce soir, elle était tellement fatiguée qu'elle s'endormit avant même de toucher le rocher entouré de tissu que l'administration de l'université osait appeler un oreiller...

Myosotis courait dans un long couloir sombre. Ses propres bruits de pas résonnaient à ses oreilles, et sans savoir pourquoi, ça la paniquait encore plus que tout le reste.

Quelque chose la poursuivait. Quelque chose qui grognait dans les ténèbres. Elle ne pouvait pas le voir, mais elle l'avait entendu, et avait même senti son souffle chaud et fétide sur son épaule.

C'était là, juste derrière elle ! Elle ne pouvait pas se permettre de s'arrêter.

Pourtant, tous ses muscles lui semblaient si fatigués, courbaturés ! Et le sol qui avait à présent la consistance de la mélasse la ralentissait encore davantage !

Elle trébucha, mais se reprit, à deux doigts de céder à la panique. Avec un soulagement sans nom, elle aperçut une porte toute simple, toute nue, au bout du couloir enténébré.
Elle se rua sur la poignée ronde, mais cette dernière refusait de bouger. Même en agitant sa baguette dans tous les sens, rien n'y faisait.

Myo se colla contre le mur, haletante, le cœur battant. Des larmes lui brûlaient les yeux. C'était là, et ça avançait, dans un bruissement. Elle entendait sa respiration grognarde. Elle sentait déjà son ombre s'étendre sur elle...

Allait-elle s'en sortir ?!

Avant de le savoir... UNE PAGE DE PUB !

Un barbu jovial apparut comme venu de nulle part, et posa son pied sur une chaise d'un geste qu'il voulait nonchalant, sur une musique de fond insipide et rythmée.

-Ici Billy Says, et je viens vous parler de la décoction détachante MAGICSTAINSAWAY! Vous en avez assez de recevoir des tâches de potions ou de sortilèges pendant vos cours ? Vous n'arrivez jamais à ravoir les taches de sang de couleurs exotiques des animaux fantastiques que vous étudiez ? Ce n'est plus un problème, car une seule goutte de MAGICSTAINSAWAY suffit pour faire disparaître même les tâches les plus ensorcelées !

Une blonde au sourire factice s'avança, et leva son pouce :

-Depuis que j'utilise MAGICSTAINSAWAY, tout va tellement mieux dans ma vie ! Je n'ai plus de tâches sur mes vêtements, je n'ai plus honte de moi, et je peux enfin me concentrer sur mes études !

Un homme au brushing impeccable prit place aux côtés de la blonde, et récita :

-Je suis étudiant en Magizoologie, et à cause du sang des Poülhøpô, j'avais des tâches vertes sur toutes mes chemises, mais je n'avais pas les moyens d'en racheter d'autres ! Heureusement, avec MAGICSTAINSAWAY, mes tâches et mes problèmes ont disparu !

Le sorcier barbu tendit en avant une fiole de son produit :

-Et aujourd'hui seulement, le MAGICSTAINSAWAY est à un prix imbattable : la grande bouteille de un litre est à 28 gallions, ou bien trois versements faciles de dix gallions ! Alors... qu'attendez-vous ?! Réveillez-vous et ruez-vous dans notre magasin le plus proche !

Myosotis ouvrit grand les yeux, et se redressa dans son lit, en nage.

-Saloperie de rêve... grogna-t-elle, encore dans les vapes.

Elle avait beau y avoir droit plusieurs fois par nuit, elle ne s'y faisait toujours pas.

Ça datait de l'année dernière : l'université avait eu besoin d'un financement urgent, et l'administration avait vendu à une agence de publicités la seule chose qui leur restait à vendre, à savoir l'espace de rêve des étudiants.

Myosotis n'aurait jamais osé critiquer une décision de son merveilleux doyen, mais... depuis, elle avait régulièrement droit à la visite de Billy Says, qui coupait ses vrais rêves pour tenter de lui vendre sa camelote, et c'était pas super agréable, il fallait l'avouer.

Surtout quand, comme cette nuit, ça la réveillait carrément.

Certains étudiants-sorciers, lorsqu'ils n'en pouvaient plus, allait dormir plusieurs nuits par semaine chez leurs parents, mais pour la hippie aux cheveux épinards, il en était hors de question. Aux dernières nouvelles, son père, qui n'avait jamais tenu en place, baroudait quelque part au milieu de la végétation en Papouasie. Quant à sa mère... disons que l'étudiante en Sciences Occultes préférait rêver chaque nuit en continu de ce cher Billy Says plutôt que de rester plus de deux minutes en compagnie maternelle.

Myo s'étira et se leva, provoquant un énième interminable grincement. Elle jeta un coup d’œil à sa table de chevet. Si on devait en croire sa Fleur Horlogère, qui éclosait et se fermait chaque jour dans un cycle parfait de 24 heures, il était à peine quatre heures du matin.

-Eh ben, je vais être en forme pour la chorale, moi...

La jeune fille soupira, alors qu'elle se dirigeait d'un pas mou vers le coin qui lui servait de cuisine, afin de se servir un verre d'eau.
Et tomba nez à nez avec deux yeux rougeoyants.

-Hiiiiiiiiiiiiiiii !

Pendant une demi-seconde, Myosotis crut qu'elle était revenue dans son cauchemar, avant l'interruption du vendeur de télérêve-achats... mais non. Elle était bien éveillée, et la silhouette monstrueuse qu'elle percevait à peine dans la pénombre était bien là. La jeune fille amorça un mouvement de fuite, mais la chose l'agrippa au poignet de ses griffes acérées. Myo ne put s'extirper qu'avec mal, en lançant son verre sur le truc, puis s'enfuit sans regarder en arrière.

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