Assise en tailleur au milieu du salon du Grand Potiron, toujours vêtue de son pyjama rose constellé d'hippogriffes, Myosotis se balançait d'avant en arrière, les yeux cernés et exorbités.

Elle tenait dans sa main gauche sa baguette, et avait calé sa poupée vaudou aux yeux en boutons sur ses genoux.
Son poignet droit était quant à lui enveloppée dans un linge qu'elle avait trouvé par là, et qui était à présent tâché de son sang. Et bon dieu, que ça la brûlait !

-Je vais jamais le ravoir... Il faudrait que j'achète MAGICSTAINSAWAY... murmura-t-elle.

Elle ne savait pas ce qu'elle avait vu, mais une chose était sûre, elle n'avait pas halluciné, les profondes traces de griffures sur son avant-bras en étaient comme autant de preuves douloureuses.

Peut-être qu'il s'agissait du loup-garou pervers dont elle avait entendu parlé, ces dernières semaines ? Mais non, ce n'était pas possible : apparemment, Titus l'avait fait fuir de l'université, et puis, ce qu'elle avait entraperçu n'était pas lupin, mais davantage... écailleux.

Elle frissonna à nouveau, et serra un peu plus sa poupée et sa baguette.

Elle se sentait plus en sécurité ici, dans le Grand Potiron, que dans son appart miteux, mais il lui tardait de voir un visage ami. N'importe lequel. Même voir la tête abominaffreuse de Screwface lui ferait plus plaisir que tout.

Aussi, toutes lumières allumées, elle fixait l'entrée du cucurbitacée, en essayant de ne pas penser que la plupart de ses confrères était encore au dispensaire à cause du Club de Duels...

Myosotis se sentait fatiguée. Cela faisait de longues heures qu'elle tentait de lutter contre le sommeil. Elle était restée statique, sa poupée contre elle. Ça faisait tellement longtemps qu'elle somnolait, assise par terre devant le canapé du Grand Potiron, qu'elle n'arrivait plus à faire la part des choses entre rêves et réalité. Elle avait laissé le sang de son avant-bras sécher sur son pyjama rose, sécher contre sa peau, mais l'entaille continuait à imbiber le chiffon qu'elle avait trouvé, et tant pis pour les éventuelles tâches. Tant pis pour le monstre à écailles. Et puis merde, tant pis tout court. Il fallait qu'elle dorme.

Elle dodelina de gauche à droite, puis s'effondra littéralement par terre.
Le temps passa (bien qu'elle n'aurait pu dire combien), et quelqu'un lança :

-Woaaaah Myo, qu'est-ce que t'as foutu ?

Ça ressemblait à la voix lente et ahurie de Shakulu. Des bruits de pas s'approchant d'elle lui confirma que ce n'était pas un rêve.
Myosotis n'ouvrit même pas les yeux, et émit un vague grognement en guise de réponse. 

-Myo, putain, tu déconnes, lança une seconde voix, plus grave et plus autoritaire, celle de Screwface, sans aucun doute.

-Beuuuh, tout ce sang, c'est dégeu... J'vais avoir besoin d'une petite cigarette pour oublier ça... fit une troisième voix, geignarde, qui ne pouvait être que Jean-François. Vous pouvez me dépanner les gars ?

Personne ne prit la peine de lui répondre.

La jeune fille se sentit soulevée, et posée sur le canapé, juste derrière elle. La voix grave de Screwface résonna à son oreille :

-Sister, au dispensaire, ils sont encore débordés à cause du club de duel, alors si tu veux, j'ai inventé une décoction qui pourrait te remettre d'aplomb ! Bon, je l'ai pas encore testé sur un humain, mais...

-...vas-y... m'en fiche... répondit la jeune hippie, vaseuse.

-Tu veux la tester ?

-Mmh...

-Tu es sûre ?

-Mmh mmh...

Shakulu se laissa tomber à côté d'elle sur le sofa :

-Eh ben, tu dois être bien atteinte pour accepter d'être le cobaye de Screwface... bâilla-t-il.

-Mmh...

Myo était de plus en plus fatiguée, et les voix de ses potes autour d'elle s’évanouissaient au fur et à mesure qu'elle sombrait. Elle sentit qu'on lui versait une potion au goût sucré dans le gosier.... puis plus rien. Le trou noir.

-Euh... c'est normal qu'elle s'endorme avec les yeux grand ouverts ? demanda innocemment JF.

-Euh... pourquoi son bras se remet à saigner comme ça ? s'interrogea Shakulu en se grattant ses cheveux.

Screwface regarda la fiole qu'il venait de lui administrer, et lut l'étiquette.

-Oh-oh..

-Oh-oh quoi ?

-Euh... non... rien... Je vais aller me coucher. Bonne nuit.

Il sortit du potiron à grandes enjambées.
Jean-François le suivit, puis jeta un dernier regard à Myosotis :

-Je sens qu'on va encore se faire engueuler par Titus... grimaça-t-il avant de sortir.

Shakulu, lui, s'affala sur son amie à la chevelure verte, complètement endormi.

Dans un long bruit de succion, la longue langue du potiron s’étira, jusqu’à atteindre le bout des bottes du cowboy.

D’un pas lent et las, Titus grimpa tant bien que mal dans le gosier du vénérable végétal, pestant contre les méthodes de transport magique un peu trop rapides à son gout.

Il DÉTESTAIT transplaner, et avait même du passer son permis par deux fois avant de réussir de justesse ! Seulement, la simple idée de s’éterniser à côté du repaire des féministes du campus après la bataille du club de duels suffisait à le faire partir fissa. Dommage… la petite métisse était plutôt bonne ambiance, et sa manière hystérique de s’exprimer avait un je ne sais quoi de…mignon. Fronçant les sourcils, Titus secoua la tête d’un air agacé : depuis quand ce qui était « mignon » avait un quelconque intérêt pour lui ? Il fallait qu’il se reprenne !

Enfin, il allait pouvoir se prendre un dernier verre avec ses compagnons d’armes avant d’aller se pieuter dans son appart miteux… ou bien de s’écrouler dans son vomi, au choix.

-Hoo, les gars, cria-t-il à la cantonade en pénétrant dans la jungle du grand salon. Vous êtes pas tous dans le coma, j’espère ! J’ai besoin d’une douzaine de doigts de rhum, faut fêter notre petit assaut de cet aprèm !

Un silence lugubre lui répondit, perturbé seulement par le grouillement des insectes et le chant des oiseaux de nuit. Sentant que quelque chose d’abject se présageait, Titus avança prudemment, et dégainant sa baguette il prononça d’une voix ferme :

-Hominum Revelio !

Le décor changea dans son champ de vision, les murs et les arbres devenant transparents et les êtres humains présents en ces lieux apparurent, semblables à des fantômes brillant d’une lueur orangé. Seulement voilà, il n’y avait que deux autres personnes en dehors de lui qui se trouvaient dans le Grand Potiron : elles étaient affalées à même le sol, l'une sur l'autre. Il s'agissait d'un étudiant de petite taille aux vêtements amples et d'une jeune fille prostrée dans une posture bizarre. Saisi par un horrible pressentiment, Titus fonça droit dans leur direction, s’égratignant au passage contre les branches des arbres tropicaux.

Sans surprise, l'étudiant n'était autre que Shakulu, victime de son intempestive maladie de sommeil. La jeune fille se révéla être Myo. Elle gisait à même le sol, le teint livide, les yeux mi-clos et en piteux état : elle avait l’air d’avoir mené une féroce bataille contre un monstre abject, des traces de coups étaient visibles sur chaque centimètre de sa peau et son avant-bras était couvert de sang séché, lacéré de profonde coupures dont la couleur avait viré au violet. La baguette du cowboy glissa de sa main et tomba au sol. D'un coup de pied rageur, il dégagea Shakulu du passage, ce dernier se contentant de grogner faiblement, un filet de bave aux lèvres.

-Merde… merde, merde merde !!! Réveilles-toi Myo !!

Titus se pencha sur son amie pour tenter d’écouter sa respiration. Sentant un faible souffle émaner de la sorcière, il s’accroupit, soulagé, et tenta de la ranimer à sa manière : en la saisissant par les épaules et en la secouant comme un cocotier. Voyant que l’effet était pour ainsi dire nul, il réfléchit un instant. Les connaissances de Titus en matière de médicomagie étaient plus que rudimentaires. Même les onguents shamaniques que les indiens Hopi lui avaient donné n’auraient pas suffi dans un tel cas. Il fit alors la dernière chose qu’il y avait à faire : il récupéra sa baguette, saisit la sorcière aux cheveux verts, la transporta à l’extérieur et, serrant les dents, il transplana (encore !!!) dans la nuit, espérant trouver de l’aide.


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