Lucrécya était d'humeur exécrable. EXECRABLE. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas senti à ce point le besoin impérieux de cogner sur quelqu'un, n'importe qui. Mais y'avait personne dans les parages, et elle avait les deux mains de prises, aussi elle garda toute sa rancœur pour elle.

Elle rentrait chez elle à grandes enjambées, en fulminant. Calée contre elle, sur son bras gauche, Rufus braillait comme jamais, à plein poumon. Rien n'arrivait à le calmer. Même le boursoufflet Morgoth, qui lui chatouillait le visage, le laissait indifférent. Et plus il hurlait, plus Saleté de Bourrique, l'hippogriffe de l'Alpha qu'elle tirait par une longe de sa main droite, refusait d'avancer.

-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! s'époumonait le bébé.

-BORDEL AVANCE SALE CANASSON OU JE TE JURE QUE JE TE FOUS LE FEU ! hurla Lulu, une veine palpitant dangereusement sur son front.

Sans succès, évidemment. L'animal s'arrêta net, à bout de souffle, et s'assit pesamment sur son arrière train. Quelques mouches en profitèrent pour bourdonner autour de lui.

-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Lucrécya ferma les yeux et serra la mâchoire, se retenant de hurler de rage.

Sa journée avait été abominable. Sa journée ? Non ! Ça faisait plusieurs jours que ça roulait plus très rond. Et il n'y avait qu'un seul responsable : MARCUS !

Enfin non, ce n'était pas vraiment de la faute de Marcus, mais plutôt de son prof, le général Schneider, qui avait décrété que ses élèves de première année n'étaient qu'une bande de ramollis du slibard, et qui, du coup, les avait emmenés faire un camp de plusieurs jours au beau milieu de l'une des forêts du campus. Cela faisait trois jours que Marcus était parti, et trois jours que Lulu pétait un câble. Elle ne pouvait pas abandonner son fils, alors, en désespoir de cause, elle l'avait amené en cours avec elle.

-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Sauf que ça n'avait pas été une très très bonne idée. Sans parler des jeunes filles en fleur qui n'arrêtait pas de papillonner autour du bébé en s'extasiant hypocritement, sans parler des regards noirs  de McComique à son égard, ça n'avait pas été une réussite.

Déjà, Monsieur Sheraff n'avait pas vraiment apprécié.

Bon, c'est sûr, Lulu était arrivée systématiquement en retard. Bon, c'est sûr, elle s'arrêtait toute les cinq minutes pendant les exercices pour aller voir si Rufus allait bien. C'est sûr, elle n'avait toujours pas de balai pour les cours de Techniques au Quidditch. Et son hippogriffe, que Sheraff lui avait demandé d'amener, était toujours sur le point de claquer. Mais est-ce que c'était une raison pour s'énerver à ce point ? Elle avait fait un effort, bordel ! Elle n'avait pas séché !

-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

...mais vu comment c'était fini le dernier cours de sa journée, elle aurait tout aussi bien pu. Rufus avait été particulièrement ronchon, et il n'avait pas arrêter de pleurer, pleurer, pleurer. Et c'est le professeur de Sports lui-même qui avait supplié Lucrécya de rentrer chez elle. Alors qu'elle avait pris sur elle pour se lever ce matin, et faire le déplacement jusqu'à son cours ! Non mais sérieux !

-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

En rageant, tirant l'hippogriffe qui ne faisait aucun effort pour avancer à la seule force de son bras, Lucrécya finit par arriver devant sa maisonnette. Elle enleva la bride de Saleté de Bourrique, se tourna vers la porte... et se figea.

Sur la porte d'entrée, quelqu'un avait écrit en énormes lettres, avec de la peinture, un message des plus déconcertant :


-GWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Lulu haussa les épaules, et rentra. Ce devait être une erreur. Et puis si elle tombait sur le crétin qui avait osé souillé son mur, elle l'aplatirait avec un plaisir non dissimulé !

Elle posa Rufus dans son berceau, où il continua à hurler :

-GWAAAAAAAA...

Il stoppa net son braillement lorsque sa mère lui fourra dans sa bouche sa tétine fétiche.

Lucrécya soupira d'aise devant le silence enfin retrouvé, et s'affala sur son canapé, épuisée. Il fallait qu'elle se repose un minimum avant le cours de transplanage qu'elle prenait avec Malicia.
Soudain, elle fronça les sourcils : devant la table basse, devant elle,  une bouteille de bière ouverte lui attira l'attention.

-Mais qu'est-ce que...

Elle n'avait bu de bière depuis une éternité, et Marcus était encore à son truc de militaire... Elle prit la bouteille en main, et son cœur rata un battement : il y avait une trace de rouge à lèvres sur le goulot.

-Non mais je rêve ?

Elle se leva d'un bond... et réalisa qu'elle s'était assise sur une petite culotte en dentelles. Une petite culotte QUI NE LUI APPARTENAIT PAS.

-Non mais je rêve ?!

Elle aperçut alors un bout de parchemin plié, et le prit en mains.
C'était une lettre, mais Lulu ne reconnut pas l'écriture. Le papier empestait un parfum féminin bon marché. Sans en croire ses yeux, Lulu lut :


En guise de signature, l'auteur avait écrit un simple P., et avait embrassé le papier, laissant une trace de lèvres rouges sans équivoque.

Lucrécya se rassit pesamment sur le canapé, les yeux ronds, bouche bée.
Au bout d'un long moment, elle agrippa machinalement son miroir à double sens, et articula :

-Malicia McGuire.

Après quelques secondes de scintillement, le visage de la jolie métisse apparut dans la glace.

-Mali. Ça va ? demanda Lulu d'une voix monocorde qui ne lui ressemblait pas.

-Non pas vraiment, soupira la voix fluette de la Zeta. Et toi ?

-Marcus m'a menti il est pas parti dans un camp avec sa classe il a une  maîtresse et il profite que j'aille en cours pour la voir chez nous.

Un long silence lui répondit.

-...J'arrive.

Les yeux toujours ronds comme des soucoupes, Lulu raccrocha et attendit son amie, droite sur son son sofa.

Le feu aux joues, Malicia courait à en perdre haleine dans les allées de Mysteria Lane, semant derrière elle des parchemins et des plumes qui tombaient de son sac de cours ouvert. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer ? Marcus tromper Lulu ? Impossible ! Enfin... elle espérait fortement que ça l'était ! En tout cas, l'heure était grave, et la métisse savait que les conséquences allaient être terribles.

Elle même avait failli perdre les pédales plus d'une fois dans la journée, mais elle ne pouvait même pas imaginer dans quel état elle trouverait sa meilleure amie... et tout ce qui l'entourait. Lucrécya n'avait jamais été particulièrement calme de caractère. Et ce genre de nouvelles pouvait mettre n'importe qui dans un état affreux. Alors Lulu...

Malicia arriva devant la maison des Flint et manqua de glisser sur un doudou qui trainait là. Et Rufus dans tout ça ? Marcus n'avait quand même pas été assez idiot pour tromper sa femme à peine deux mois après la naissance de son fils ?! Il n'était pas comme ça... En même temps, depuis quelques temps, elle avait un peu perdu foi dans la gent masculine et ce qu'elle venait elle-même de vivre il y avait à peine un moment ne la poussait pas à donner aux hommes le bénéfice du doute. Une vraie Zeta. Ses consœurs seraient fières d'elle si elles l'entendaient penser... Oh, comme elle espérait que Lulu se soit trompée !

Malicia se figea en considérant une insulte peinte en rouge sur la porte d'entrée avec de grands yeux horrifiés.

-Ohmondieu. Lulu ne s'était pas trompée ! couina-t-elle.

Elle se mit à tambouriner à la porte des Flint. Lucrécya ouvrit enfin et Malicia fondit dans ses bras :

-LUSTUCRU !

Elle se mit à secouer son amie comme un cocotier :

-Ohmondieuohmondieuohmondieu qu'est-ce qui s'est passé ?! Il t'a dit ça quand ?! Il t'a rien dit, c'est ça ?! Tu l'as découvert ?! C'est le message d'insulte sur la porte, hein ?! Ou non ?! Il y a pire ? Il y a pire c'est ça ! Ohmondieuohmondieu Lulu chou, je suis désolée ! C'est un salaud ! Non, c'est tous des salauds ! Les mecs sont horribles ! Ils nous veulent tous du mal ! Ohmondieuohmondieu !!! Mais on va pas se laisser faire ! On va aller chercher Marcus et on va lui donner la raclée de sa vie !!!Et pi on va lui faire entendre raison ! Et il reviendra ! Il va pas te laisser seule avec Rufus !!! Ohmondieuohmondieu !!! Mais quel salaud !!!!

La métisse fondit en larmes dans les bras de Lucrécya qui n'avait pas dit un mot. Elle releva soudain la tête et considéra le visage de son amie. Ce dernier était étrangement impassible.

-Entre. Lâcha-t-elle d'une voix qui aurait pu glacer le sang d'un reptile.

Malicia s’exécuta en regardant son amie avec inquiétude.

Lucrécya gardait les yeux grands ouvert, le corps raide et crispé... et un calme olympien qui ne lui ressemblait pas. Malicia, assise à côté d'elle, ne cessait de lui jeter des petits coups d'oeil, avant de fixer à nouveau les preuves de l'infidélité de Marcus. Elle semblait mal à l'aise du manque de réaction de son amie :

-Lulu... Tu n'as pas envie de pleurer ?

-Non.

-Tu veux hurler ?

-Non.

-Tout casser avec Séraphine ?

-Non.

-Ohlala Lustucru ça va vraiment pas !

-Non.

Lulu soupira et leva la tête vers son amie :

-Bon, écoute, j'ai besoin de me changer les idées, parlons d'autre chose. Tiens, tu me disais que ça allait pas toi non plus ?

Un voile de tristesse passa sur le visage de Mali :

-Je ne suis pas sûre que ça va te changer les idées...

-Mais si, dis-moi.

-Ben... Je me suis rendue compte qu'en dix jours Drago était sorti avec quinze Zetas avant de les jeter comme des véracrasses alors j'ai voulu aller lui parler à ce salaud, mais c'était une foutue erreur.

D'un coup, Lulu se leva :

-Je sais ce dont on a besoin.

-Epingler la photo de Marcus sur le Mur de la Honte Masculine des Zeta Delta Nu ? proposa Mali.

-Hein ? Nan ! Toi et moi, on a besoin d'ALCOOL !

Elle agita sa baguette et une bouteille de vodka vola jusqu'à sa main. Un autre mouvement du poignet amena deux verres. Lulu les remplit à ras bord, en but un cul sec :

-Ouah ça fait du bien !

Elle tendit l'autre à son amie. Cette dernière hésita :

-On risque d'être pompettes pour le cours de transplanage.

-Parce que tu comptes encore y aller ?

-Ben, on a payé d'avance les leçons, et... et... non. Tu as raison. On a mérité de boire quelques verres.

Elle prit en main le verre que lui tendait Lucrécya, et le vida d'un trait.

Lulu et Mali venaient de finir leur deuxième litre de vodka... chacune. Elles avaient également sifflées les quelques bières qui restaient dans le frigo, et même la vieille bouteille poussiéreuse de schnaps à la menthe qu'un vieil oncle radin avait offert à Lulu pour son mariage.

Et pour l'heure, Lucrécya débouchait, avec peine tant elle était saoule, une bonne bouteille de vin qu'elle avait acheté dans l'optique de fêter ses trois mois de mariage avec Marcus. Après avoir tiré sur le tire-bouchon comme une malade, la bouteille s'ouvrit enfin dans un ''pop !'', et Lulu se retrouva les quatre fers en l'air, en glapissant.

-La b... bouteille ! balbutia-t-elle en se relevant.

-C'est bon tout va bien ! Hips ! décréta Malicia, qui avait empêché le vin de se renverser d'un mouvement de baguette.

La métisse servit généreusement les deux verres, non sans en mettre plein à côté. Lucrécya agrippa son verre, et, après en avoir but une bonne gorgée, elle s'affaissa dans son siège et grogna :

-Les mecs...

-Ouais les mecs ! renchérit Malicia.

-Tous des connards...

-Ouais tous des... hips ! Connards !

-Si je l'avais en face de moi cet enfoiré de Marcus, je le tabasserai comme jamais j'ai tabassé personne !

-Ouais ! Tu l'as dit Lusu... tu... tucrutu !

Lulu se pencha en avant, et leva un doigt pas très assuré :

-Et si je l'avais en f...face de moi ce connard de Malefoy, je le pendrai par les pieds pendant des heures au dessus du lac pour que le Keply vienne le boulotter !

-Ouais ! s'enthousiasma Malicia.

Cette dernière, les joues bien roses et le regard luisant sous l'effet de l'alcool, ponctua son approbation en finissant son verre cul sec.

Les deux amies finirent le vin en pouffant de rire comme des ados en goguette, sans trop savoir pourquoi, mais sans pouvoir s'en empêcher.

-T'as encore du... hips ! ...vin ? demanda la métisse en agitant son verre vide.

-Nan... C'était notre dernière bouteille d'alcool...

-Oooh...

Les deux filles baissèrent la tête, déçues.
C'est le moment que choisit le miroir à double sens de Lulu pour vibrer, sur la table.

La batteuse lui lança un regard bovin. Mali fronça les sourcils :

-Si c'est Minus, dis-lui que c'est qu'un... hips !

-Et si c'est Malefoy ?

-Dis-lui que c'est un double... hips !

Lulu hocha la tête, et décrocha :

-Keuwa ?!

Mais ce n'était ni Marcus ni Drago : le visage de garçonne de Griselda apparut, dans une sorte de pénombre. Un brouhaha assourdissant et une musique forte se devinait autour d'elle, comme si elle était en boîte de nuit.

-C'est moâââ, ta meilleure amie chérie que tu aimes et que tu adores plus que tout au monde ! Qu'est-ce que tu fous Rincevent Rincevent Rincevent ?

-J'noie mon chagrin avec Mali. Fous moi la paix.

-On t'attends au Grand Potiron des Gammas ! C'EST LA FIESTAAAAA ! Tout le monde est invité !

Lulu hésita :

-... y'a de l'alcool ?

-Yep !

-Beaucoup d'alcool ?

-ET COMMENT !

-On arrive.

Elle raccrocha. Malicia, qui tentait d’attraper avec sa langue les dernières gouttes d'alcool de son verre et qui, du coup, n'avait rien suivi à la conversation, releva la tête.

-C'était qui ? Hips !

-Griselda. Ils font une fête chez les Gammas, on est invités.

Mali haussa les épaules :

-Je sais pas si je suhips d'humeur à faire la fête.

-Ils ont de l'alcool, répliqua Lucrécya.

-Ok on y va.

Les deux filles se levèrent et se dirigèrent, non sans tituber et se tenir mutuellement pour ne pas tomber, vers le Grand Potiron.


:arrow: direction l'impasse du bizut pourfendu, vers la fête du siècle !