L’épicerie de San Sou Si était une minuscule échoppe sombre et humide. Elle était horriblement encombrée de piles de bric à brac, qui tanguaient sur des étagères trop frêles ensorcelées pour ne jamais céder. En vitrine, pendaient les cadavres de créatures canardesques, qui, en plus d'attirer les mouches, parfumaient les lieux d'une fragrance faisandée. Même la centaine d'encens de mauvaise qualité qui brûlait dans chaque recoin ne parvenait à dissimuler cette puanteur.
Malefoy, dont le teint flirtait avec le vert, posa ses deux mains sur sa bouche pour réprimer son haut-le-cœur.
-Flint, j'espère que tu es sûr de toi... maugréa-t-il entre ses phalanges.
-Nan, pas du tout, rétorqua Marcus. Mais t'as une autre idée ?
Devant le silence éloquent de son ami, le Pi Alpha Fi repoussa du bras l'un des trop nombreux lampions chinois, poisseux de poussière, qui flottaient paresseusement dans les airs.
Puis d'un pas décidé, il s'avança vers le comptoir, derrière lequel l'attendait un vieil asiatique à la barbiche blanche.
-Honorables clients, le temps n'est précieux qu'à celui qui n'en a plus, fit l'épicier, d'une voix à fort accent chinois qui rendait ses propos d'autant plus mystérieux.
-Fous-toi à table, San Sou Si ! Chuis sûr que t'as quèqu'chose à me raconter !
Flint posa ses deux mains à plat sur le comptoir, découvrant l'éventail de ses doigts, dont le manquant. Les yeux de l'épicier se plissèrent encore davantage :
-Le mensonge n'en est pas un pour le singe ignorant.
-Ah, tu veux jouer à ça, mon mignon ? L'ombre du dragon de jade peut camoufler les rayons d'or du soleil.
-Les cris du simple d'esprit sont aussi doux que le vent d'été aux oreilles du vénérable sage.
-Et pourtant le souffle céleste chasse même les plus noires des nuées.
-Qu'a-t-il dit ? s'enquit Drago, qui ne parvenait pas à suivre l'échange. Et qu'as-tu donc dit, Flint ?
-Le papillon de nuit confond la lumière céleste de la lune avec la frêle flamme de la bougie, lança San Sou Si.
-Mais la libellule creuse des sillons même dans la plus cristalline des eaux, répliqua aussitôt Marcus.
-Et le bambou délicieux n'en est plus si son cœur manque au facétieux panda.
-Le fléreur peut rugir tel un lion, il n'en reste pas moins un fléreur.
-Ne m'ignorez pas, je trouve cela fort déplaisant ! s'exclama l'AAA en croisant les bras.
-La vérité n'est qu'une poussière dans le vaste sablier de la vie.
-L'éclat du véritable diamant attise les convoitises de ceux qui en ignorent le sens !
-Vaste est l'inimité du singe sur le sentier de la guerre.
-Le sage veut atteindre l'illumination, l'idiot récite des adages de sagesse, siffla Flint entre ses impressionnantes dents.
San Sou Si tapa un poing rageur sur le comptoir :
-TU M'LES BROUTE A LA FIN ! S'énerva-t-il d'une voix bourrue qui avait perdu tout accent asiatique . Ferme ta gouaille mon loustic, parce que je sais foutrement rien sur c'qui est arrivé à ta pogne !
-Ah ouais ?
-Ouais !
-AH OUAIS ?!
-OUAIS !
Les deux se toisèrent un moment, les yeux dans les yeux. Finalement, le PAF haussa les épaules et fit volte-face :
-Baaah, il sait rien.
Drago, quant à lui, dévisageait San Sou Si, les sourcils froncés :
-Depuis quand pouvez-vous vous exprimer sans le moindre accent ?! demanda-t-il, suspicieux.
L'épicier se reprit, joignit ses mains dans ses grandes manches et courba le dos :
-Honorable client, vos paroles me sont aussi mystérieuses que le chant du dragon de jade dans le crépuscule. Merci, et revenez nous voir !
-Mais il y a deux secondes, vous parliez norma...
-Merci, et revenez nous voir ! le coupa sèchement San Sou Si.
Le blondinet se tourna vers son ami :
-Et toi, Flint, où diable as-tu donc appris à t'exprimer comme les épiciers orientaux ?
-Au poker, pardi ! rétorqua le PAF.
Il quitta l'épicerie, suivi par un Malefoy décontenancé.
-Oui, voilà qui explique tout, marmonna ce dernier.
:arrow: direction Mysteria Lane !