Un rayon de soleil timide vint caresser le visage de Darius qui grogna.

Il remua un peu et grimaça, les yeux clos, espérant se rendormir. Ses muscles lui faisaient un mal de chien, une sensation qu'il ne connaissait que trop depuis qu'il connaissait cette rombière sans cervelle et assoiffée de sang de Rincevent. Un peu de sommeil lui ferait le plus grand bien, il devait bien pouvoir se reposer encore un peu avant que son réveil ne sonne.

Darius tourna le visage.

Diable! Qu'il faisait froid dans sa chambre! Sa "chère" fiancée devait avoir ouvert toutes les fenêtres de leur Loft. Il y avait un courant d'air à décorner des dragons! Et, où était la couverture et... où était son pyjama en soie sauvage ?!

-Couverture... maugréa Darius avec mauvaise humeur.

Il n'eut pour toute réponse qu'un intrigant brouhaha, couvert par les bourrasques qui soufflaient autour de lui. Darius soupira:

-Mylénie, rends-moi ma couverture, veux-tu ?

Devant le silence environnant, Darius tapa du pied :

-Mylénie, ma couverture!

Il ouvrit des yeux furibonds... et hurla.

Il n'était plus chez lui.

-QU'EST CE QUE... ?! s'écria-t-il de plus belle.

Il était solidement attaché en haut du clocher d'un grande église en pierre noire, au beau milieu d'un village qu'il ne connaissait guère. Ses habits avaient disparu, et il ne lui restait en tout et pour tout qu'un caleçon couvert de D verts brodés. Devant lui s'étendait une épaisse forêt de sapins couverte de neige, qui s'étendait devant une chaîne de montagnes.

Darius ferma les yeux.

Il devait rêver. Il allait se rendormir et se réveiller dans son lit moelleux, sans aucun doute.

Quelque chose lui picora le crâne et il ouvrit à nouveau les yeux, essayant de chasser le corbeau aux yeux rouges qui avait pris ses cheveux ébouriffés par le sommeil pour un nid.

La bête s'envola à tire-d'aile en émettant des croassements lugubres.

Le coeur de Darius s'emballa: que diable lui arrivait-il ? Heureusement, il avait son permis de transplaner et, quelque soit le mauvais plaisantin qui lui avait fait ça, il rentrerait à Londres, et lui ferait regretter d'être né, foi de Lestrange.

Il se concentra... mais rien ne se passa.

-Je... je ne sais plus transplaner ?

Il tâta son caleçon:

-Je n'ai plus ma baguette ?! s'exclama-t-il.

Un bruissement lui fit lever la tête.

Une enveloppe rouge voletait jusqu'à lui. Elle se posa en face de son visage et s'ouvrit:

-ALORS LESTRANGE, ON APPRÉCIE LE GRAND AIR ?

-Qui êtes vous?

-IL EST TEMPS POUR TOI DE PAYER !

Darius ne sembla pas apprécier cette menace :

-Une rançon ? Soit ! Père vous paiera! Mais ramenez moi chez moi sur le champ !

-EN TANT QUE DESCENDANT DES FONDATEURS DE LA FRATERNITÉ, IL VA TE FALLOIR DOUBLEMENT PROUVER TA VALEUR POUR FAIRE PARTIE DES NÔTRES ! annonça la beuglante. COMME TU LE VOIS, TU NE PEUX PLUS TRANSPLANER. SI TU VEUX DEVENIR UN ALPHA, TROUVE LE PORTOLOIN QUI TE RAMÈNERA A LONDRES !

-Pardon ?! Mais vous êtes totalement aliénés! Je n'ai ni baguette ni habits et il peut s'agir de n'importe quoi !

-BONNE CHANCE, ESPÈCE DE DÉGÉNÉRÉ !

L'enveloppe explosa au visage de Lestrange dans un grand éclat de rire annonciateur de malheur.

Lucrécya grogna, alors qu'elle reprenait lentement conscience.

Elle ne savait absolument pas ce qu'il s'était passé. Tout ce dont elle se souvenait, c'était qu'elle rentrait à l'université avec Malicia, et là, PAF ! Le trou noir total.

Ce qui a sans doute un rapport avec la grosse bosse qui était en train de lui pousser derrière la tête.

Lulu gémit. Il faisait extrêmement froid, et elle sentait le vent glacé souffler contre sa peau nue. Elle frissonna, et ouvrit un œil injecté de sang :

-Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?!

Elle était pieds et poings liés, sur ce qui devait être le toit d'une vieille résidence surplombant un petit village enneigé. Séraphine n'était plus à sa ceinture, et sa baguette semblait elle aussi avoir disparue.

Mais, pire que tout : hormis ses sous-vêtements en dentelles fines, elle était nue.

La jeune étudiante sentit son poil se hérisser et ses cheveux s'électriser, tandis qu'une vague de colère la submergeait :

-CRENOM D'UN BALAI ! Si c'est encore un de vos psycho-prototypes, Doc, ça m'intéresse pas ! Faites-moi descendre de là DE SUITE !

Mais personne ne lui répondit. Une corneille croassa au loin, et Lucrécya soupira.

Bon, après tout, elle avait déjà vécu pire, de l'horrible orphelinat sorcier où elle avait passé sa plus tendre enfance jusqu'à l'an dernier, où elle avait été séquestrée et torturée par son propre père. Alors ce n'était pas une petite balade au frais qui allait la décourager.

Elle entreprit de travailler sur les liens qui enserraient ses poings. Ce n'était vraiment pas du travail de pro, songea-t-elle en réussissant avec trop de facilité à faire glisser sa main droite vers la liberté. Elle-même avait fait bien mieux sans l'aide de la magie, lorsqu'elle attachait des Poufsouffles de première année sur le toit de Poudlard…  

Elle en était à se détacher les pieds lorsqu'une beuglante qu'elle ne remarqua pas voleta jusqu'à elle, et hurla d'un coup :

-LUCRECYA FLYNN !

Lulu sursauta, et cligna des yeux sous la surprise.

-ALPHA ALPHA ALPHA T'A REMARQUE ! C'EST UN GRAND HONNEUR, SOIS-EN DIGNE, PETITE LARVE ! TU AS ETE ELUE MEILLEUR JOUEUR DE POUDLARD, NOUS TE VOULONS DONC DANS NOTRE FRATERNITE ! CEPENDANT, NOUS N'ACCEPTONS PAS N'IMPORTE QUI : IL VA TE FALLOIR PROUVER TA VALEUR POUR FAIRE PARTIE DES NOTRES ! TU NE PEUX PAS TRANSPLANER, TU NE PEUX PAS UTILISER DE MAGIE ! SI TU VEUX DEVENIR UN ALPHA, TROUVE LE PORTOLOIN QUI TE RAMENERA A LONDRES, ET CE AVANT LE DEBUT DES COURS ! BONNE CHANCE BIZUTH, TU EN AURAS BIEN BESOIN !

Et la lettre rouge s'évapora dans un grand éclat de rire sardonique.

-Alpha Alpha Alpha ?

Ainsi tout s'expliquait ! Au moins, ce n'était pas encore une fantaisie psychanalytique du docteur Froud.
Lucrécya ne s'était pas intéressée aux fraternités plus que ça, mais bon, pourquoi pas ? Après tout, il fallait en choisir une pour jouer au tournoi de Quidditch, et elle ne s'était pas inscrite en filière sportive pour rien.

Elle se débarrassa de la corde qui enserrait ses chevilles, puis se redressa.
Il faisait si froid qu'une épaisse buée s'élevait devant sa bouche à chaque respiration, et elle ne savait pas par où elle devait commencer. Elle courut sur tout le toit pour scruter les alentours.

-Hey, mais y'a quelqu'un  là-bas ! s'exclama-t-elle, se désignant à elle-même le toit d'une église toute proche. HE HO !

Elle sauta en agitant les bras, mais la personne, dont elle n'apercevait que la silhouette, ne semblait pas la voir. Qu'à cela ne tienne ! Dans la galère, il valait mieux trouver des alliés. Aussi, en prenant son élan, elle tenta de sauter de l'autre côté, sur le toit de l'église.


Chances de Lulu de passer au dessus de l'espace entre les deux toits :

Lucrécya Rincevent a effectué 1 lancé(s) d'un (CARTE CHANCE.) :

5

Pffiou ! Il s'en était fallu de peu !  

Le pied de Lulu avait failli glisser et la faire basculer dans le vide... mais elle avait finalement réussi à se rattraper de justesse à une grosse pierre, qui dépassait du rebord. La jeune fille fut secouée d'un frisson, tant par la peur que par le froid.

Puis, sans regarder le vide béant derrière elle, elle courut vers la silhouette qui gigotait non loin… et stoppa net, à quelques mètres de la personne.

Elle écarquilla les yeux d'horreur, et serra les dents en signe de haine.

-Lestrange…

Puis, réalisant soudain qu'elle était quasi-nue, elle rougit et rabattit ses bras devant son soutien-gorge.

Des flocons pleins les cheveux, Darius s'agitait comme un diable en grommelant pêle-mêle des choses sur son honneur bafoué, le froid glacial indigne d'une personne de son rang, et le peu de respect que les soudards dégénérés qui constituaient les Alphas avaient envers sa personne. Une fois qu'il reprendrait la tête de cette Fraternité, ce qui lui revenait de droit, ils allaient comprendre! On ne se moquait pas deux fois d'un Lestrange et bon sang comment s'enlevaient ces foutus cordages ?!

Darius s'impatienta et grogna de plus belle, ce qui attira à lui le corbeau noir qui revenait de temps en temps à la charge pour reprendre ses droits sur sa chevelure. Ça ne pouvait pas être pire!

Un bruit lui fit tourner la tête et il leva les yeux au ciel : Rincevent venait à sa rencontre. Darius leva la tête :

-Seigneur, si tu m'entends, tout mais pas elle.

Au lieu de la voix Divine tant espérée, une voix éraillée qu'il ne connaissait que trop s'éleva:

-J'ai entendu Lestrange...

Darius jeta au ciel un regard courroucé.

Finalement, il se tourna vers la fille :

-Rincevent. Je ne sais pas ce que tu as encore fabriqué pour me mettre dans ce pétrin mais...

-QUOI?! MAIS J'AI RIEN FAIT! s'écria Lucrécya les poings fermés.

Darius la fusilla du regard:

-SI L’EXÉCRABLE ANNÉE QUE NOUS AVONS PASSÉE ENSEMBLE M'A BIEN APPRIS QUELQUECHOSE, C'EST QUE TU AS TOUJOURS QUELQUE CHOSE A VOIR AVEC LES CATASTROPHES !

Lucrécya sentit la colère battre à ses tempes:

-AH OUAIS ?! rugit-elle.

-EXACTEMENT! ET SI JE N’ÉTAIS PAS PIEDS ET POINGS LIES, ET QUE JE N’ÉTAIS PAS LE GENTLEMAN QUE JE SUIS, CELA FERAIT LONGTEMPS QUE JE T'AURAI DONNE LA CORRECTION QUE TU MÉRITES ! SAIS-TU POURQUOI? PARCE QUE JE TE HAIS !

-MAIS MOI AUSSI, MON PTIT POTE! ET JE SUIS PAS LA SEULE, CROIS MOI! TOUT LE MONDE TE DÉTESTE!

-AH VRAIMENT ?!

-OUAIS!

Darius détourna la tête en signe de mépris :

-EH BIEN VA-T'EN! JE NE TE RETIENS PAS!

-JE VAIS ME GÊNER!

-ADIEU!

-C'EST CA!

Lucrécya tourna les talons en grommelant.

-Tu ne me détaches pas ? s'étonna Darius.

Lulu soupira et croisa les bras:

-Je vois vraiment pas pourquoi...

Elle se tourna vers le blondinet, un sourire maléfique aux lèvres:

-A moins que...

-A moins que quoi ?

Lucrécya fit quelque pas en avant:

-Je suppose que, toi aussi, tu as eu la beuglante.

-Ce ne sont pas tes affaires.

-Si on doit retrouver le portoloin dans cet endroit, on sera pas trop de deux.

-Je suppose.... Tu vas donc me détacher?

Lucrécya badina:

-Je sais pas, je pourrai aussi te laisser croupir ici dans ton caleçon ridicule...

-Moins ridicule que tes fripes pleines de trous.

-C'est de la dentelle!

-C'est ce qu'elles disent toutes.

Lucrécya prit une grande inspiration pour éviter de mettre une raclée digne de ce nom à Lestrange:

-Bref. Je suppose que je pourrai te détacher.

Darius soupira, trop habitué aux subterfuges peu subtils de l'adolescente:

-Mais?

-Mais, vois-tu, je suis une jeune maman maintenant, et il me faut de quoi nourrir mon enfant.

-Abrège donc, Rincevent, ou nous allons mourir de froid ici-même! Combien ?

Le sourire de Lucrécya disparut:

-50.

-Mornilles ?

-Gallions.

Darius fit signe à la jeune fille de la détacher:

-Je te hais, Rincevent.

Lucrécya détacha Darius:

-Ravie qu'on ai pu s'entendre, Lestrange.

Darius frotta ses poignets endoloris:

-Et maintenant ?

Lucrécya s'approcha du bord du toit de l'église et grimaça:

-Maintenant on descend.

Chance que Darius et Lulu parviennent à descendre en bas de l'église sans trop de mal :

Darius Lestrange a effectué 1 lancé(s) d'un (CARTE CHANCE.) :

3

Darius atterrit sur ses jambes, non sans fierté :

-Il semblerait que ces fastidieux cours de Varappe que Père m'a offert pour mes huit ans ont enfin payé.

Lucrécya apparut à ses côtés.

-Escalader des pierres glissantes vieilles de 300 ans ? Trop facile! Bon, c'est pas tout ça, mais ça caille! lança Rincevent.

Darius regarda autour de lui. Ils étaient dans un cimetière enneigé entouré d'un grillage biscornu et rouillé. Çà et là, des tombes couvertes de mousse sortaient de terre comme des champignons. Quelques trous encore frais avaient été creusés. Darius ne préféra pas se demander pourquoi. Soudain, il leva un doigt incertain:

-Qu'est ce donc que cela ? demanda-t-il.

Lucrécya s'approcha du tas sombre qu'il désignait, et le tâta avec le bout de son pied:

-Chais pas. Un mec. Il a l'air crevé.

-Je te demande pardon ?!

Darius se rapprocha du mendiant qui gisait aux pieds de Rincevent et se pencha:

-Fichtre. Tu as raison.

Les deux se turent quelques secondes.

-S'il est mort, il doit plus avoir besoin de ses sapes... insinua Lulu.

Darius feignit d'être choqué :

-Tu ne penses quand même pas que je vais détrousser des cadavres dans un cimetière ?

Une bourrasque de vent glacée leur souleva les cheveux et un intense frisson les parcourut:

-Dépouillons ce cloporte et vite! s'écria Darius.

Il se jetèrent sur l'homme et entreprirent de lui enlever ses affaires.

-Vous faites quoi?! s'écria brusquement le mendiant.

Darius et Rincevent se relevèrent aussitôt:

-Je... bafouilla la première.

-C'est elle! s'écria le second. Elle n'a aucune morale!

Le mendiant se remit sur ses pieds. Il avait le nez rouge et vérolé, les ongles sales, le visage boursouflé et couvert de rides, et un œil poché. Lestrange recula, une moue de dégoût sur les lèvres, et le nez pincé:

-Vous ne vous lavez donc jamais ?

-C'est ce qui arrive quand on a pas de maison! rugit le vieillard. Tu crois quoi? Que le vieux Toby aime dormir dehors par ce temps de chien ?

-Par pitié, plus un mot! geignit Darius au bord de la nausée.

-Oh ça va, arrête de faire ta bourgeoise... soupira Lucrécya. Ce clodo est pas si affreux...

-Et surtout, j'ai des habits moi, au moins!

Les trois se considérèrent un moment, l'air interdits. Brusquement, le mendiant pointa les deux étudiants de son doigt crasseux:

-Mais c'est que vous me rappellez des trucs, vous deux!

-Je ne vous permets pas! s'écria Darius. Quelque soient les horreurs que vous ayez pu faire dans votre vie sordide, nous n'avons rien à voir avec.

Le mendiant s'écroula de rire dans la neige:

-Des Alphas! C'est pas vrai! Ils leur ont encore refait le coup! Ah, les crétins!

Darius et Lulu se jetèrent un regard paniqué. Ils saisirent le mendiant et le relevèrent:

-Vous avez dit quoi sur les Alphas ? cracha Lulu, poing en l'air.

-Vous allez nous dire tout ce que vous savez! intima Darius.

Le mendiant ouvrit des yeux affolés:

-Tout doux, tout doux les petiots! Le vieux Toby vous veut pas de mal!

Darius fit signe à Lucrécya de baisser sa garde.

Le mendiant toussa, cracha, et finit par se laisser glisser contre le mur de l'église:

-Ah ça, vous deux, vous devez être vraiment importants, parce qu'ils font pas ce coup là à tout le monde!

-Qui êtes vous ? articula Lucrécya, l'air revêche.

Le mendiant souleva son chapeau mité en guise de salut:

-Tobias MacPherson IVe du nom!

-Qui? fit Lulu.

-Laisse les hommes parler, Rincevent! répartit sèchement son compagnon.

Lucrécya croisa les bras avec mauvaise humeur. Darius s'acrroupit en face du vieux Toby, l'air grave:

-Vous étiez la fierté de votre famille. Votre disparition a causé leur perte. Que vous est-il arrivé ?

Le mendiant secoua la tête avec tristesse:

-Les Alphas, pardi!

Il tira de sa poche une flasque rouillée et but longuement au goulot. Finalement, il fit signe aux deux amis de se rapprocher :

-ILS ONT RUINE MA VIE, VOILA CE QUI M'EST ARRIVE! beugla-t-il à leurs oreilles avant de bondir sur ses pieds et de se mettre à vociférer tout en tournant en rond comme un aliéné:

-Je voulais entrer dans leur sale fraternité, j'étais promis à un avenir radieux, et je me suis réveillé ici! Et j'ai jamais trouvé leur foutu portoloin! JAMAIS! POURTANT J’ÉTAIS PAS LOIN, J'EN SUIS SUR!!!

Darius et Lucrécya blêmirent.

-Alors j'ai essayé de rentrer chez moi, mais cet endroit est maudit! On peut pas en sortir sans le portoloin! Alors j'ai tourné en rond et avant que je m'en rende compte...

Le mendiant se mit à pleurer:

-J'étais un vieux bon à rien, un pauvre hère sans avenir ni gloire!

Les deux camarades regardèrent l'homme sangloter en silence.

-..mais vous dites que vous étiez pas loin du portoloin? fit Lucrécya.

-Savez-vous où il est ?

L'homme ouvrit un oeil rougi plein de haine:

-Bien sûr! Mais vous ne le saurez pas.

-Et pourquoi donc ? siffla Lestrange.

-Parce que si j'ai échoué, tout le monde doit échouer! cracha le mendiant, l'haleine fétide avant de tourner les talons. Bon vent!

Darius lança à Lucrécya un regard entendu. Cette dernière se craqua les doigts:

-Pour une fois, je suis d'accord avec toi, Lestrange. On va lui faire cracher ce qu'il sait.

-Son pantalon est pour moi. siffla Darius.

Les deux se jetèrent sur le mendiant.

La neige redoubla dans le cimetière désert et silencieux du village.

Lucrécya passa sur ses épaules la veste nauséabonde mais néanmoins épaisse du clochard, puis enfonça sur sa tête le chapeau miteux.

-Ah, j'ai déjà plus chaud ! Et comme ça tu arrêteras de me reluquer ! lança-t-elle à l'intention du blondinet.

Ce dernier écarquilla les yeux, outrés, tandis qu'il enfilait en grimaçant un pantalon élimé trop grand pour lui, qu'il ferma grâce à une ceinture en corde.

-Te reluquer ? Non mais ne prends donc pas tes rêves pour la réalité, Rincevent ! cracha-t-il. Je ne "reluque" pas les batteurs femelles plates comme un Lethifold.

Lucrécya plissa les yeux, haineuse, tandis qu'elle arrachait ses mitaines trouées au mendiant inconscient :

-Plate comme un Lethifold ?!

Darius, qui s'évertuait à présent à passer ses pieds dans des godillots usés, émit un petit rire sarcastique :

-Tu m'as toujours évoqué un squelette d'homoncule aux bras trop musclés. Je préfère les jeunes demoiselles aux formes délicieusement rebondies, telles celles de Mal…euh… Mylénie, je veux dire.

La phrase jeta un froid supplémentaire entre les deux étudiants, tandis qu'ils continuaient à dépouiller le pauvre malheureux qui gisait à terre devant eux.
Lulu finit par mettre les horribles chaussettes odorantes du SDF. Malgré l'envie oppressante qu'elle avait de mettre cet abruti de Lestrange K.O. et de le laisser croupir sous la neige à côté du clodo édenté, elle se retint. Elle pourrait avoir besoin de lui et de son intellect. Aussi, elle serra les dents et lui demanda :

-Bon, le vioque il a dit que le portoloin se trouvait où déjà ?

-Tu n'écoutes donc jamais ? soupira Lestrange, en levant les yeux au ciel. Il a parlé d'un vieux château soi-disant hanté, qui surplombe le village depuis la plus haute colline des environs.

-J'étais trop occupée à frapper, maugréa Lulu, en s'essuyant sa main pleine de sang sur sa toute nouvelle veste.

-Sortons de ce lieu de perdition, proposa Darius, en lorgnant sur le corbeau aux yeux rouges qui l'avait suivi et qui venait de se poser sur une grande croix de pierre penchée, devant lui. Je pense que nous n'aurons aucune difficulté à trouver ce château si nous faisons le tour du village.

Lucrécya hocha la tête, et les deux se mirent à marcher avec difficulté sur le sol complètement gelé de l'immense cimetière.
La neige tomba en plus gros flocons encore, donnant à la scène un étrange air d'irréalité, et bientôt, on n'y vit plus à deux mètres.

Sans même sans rendre compte, les deux compagnons d'infortune, qui tentaient désespérément de trouver la sortie du cimetière, s'étaient rapprochés l'un de l'autre, autant pour se tenir chaud que pour se rassurer.

La jeune fille se tourna vers Darius, et esquissa un sourire moqueur :

-Oh mais Lestrange, tu trembles ? Tu as les chocottes ? Tu vas pas te laisser aller dans ton tout nouveau pantalon, j'espère ?

-Quoi ?! Cesse de raconter n'importe quoi, c'est le froid qui me fait trembler.

Le sourire narquois de Lulu s'étira davantage :

-On me la fait pas à moi, Lestrange ! Je sais reconnaitre la peur à dix mètres. Tu as les miquettes! Tu balises à mort! Tu as les jetons !

-Tais-toi, Rincevent !

-Monsieur l'héritier a le trouillomètre à zéro !

-Il suffit, Rincevent ! Je vais t'abandonner dans cette tempête de neige, et on verra lequel de nous deux a le plus peur !

Un hibou hulula, et Darius glapit de terreur d'une voix particulièrement suraiguë, comme si sa dernière heure était arrivée. Il bondit dans les bras de Lucrécya, pourtant plus petite que lui de plusieurs dizaines de centimètres.

Cette dernière éclata d'un rire moqueur et éraillé.

-50 gallions et ceci reste entre nous, siffla le blondinet, vexé comme un pou.

-Vendu !

Le silence retomba entre eux, et les deux Alpha en devenir passèrent devant une gigantesque statue d'une silhouette drapée de noir tenant une faux titanesque, qui marquait l'entrée de la nécropole. Puis, devant l'ampleur des intempéries, ils coururent vers un vieux kiosque à musique vermoulue, où ils purent enfin se mettre à l'abri.

-Je te parie mon vieux chapeau qui pue que cette tempête a été créée par magie pour nous mettre des baguettes dans les roues, siffla Lulu, en plissant les yeux. Saleté d'Alpha Alpha Alpha…

Darius s'assit au centre du kiosque, et soupira :

-Je me demande ce que la fraternité la plus prestigieuse de la WoW University peut bien te vouloir. Ils ont vraiment du revoir leurs critères de sélection à la baisse…

Lestrange se reçut aussitôt une boule de neige en pleine poire. Puis Lucrécya s'assit en tailleur en face de lui, et grogna :

-Bon, en l'absence de Mali, c'est censé être toi le cerveau, alors on fait quoi maintenant ?

Darius réfléchit quelques instants : face à ce temps hostile, mieux valait trouver au plus vite le portoloin. Il pourrait ainsi retrouver au plus vite. Droit devant lui, à travers les flocons, une pancarte désignait l'emplacement à quelques mètres à peine d'un troquet crasseux dont le nom venait de lui bondir au visage :

-"Le Château en T" lut-il en plissant les yeux.

Il partit d'un éclat de rire suffisant:

-Finalement, Rincevent, je crois que nous aurons moins de mal que l'on pensait.

Il se leva et courut vers la taverne, laissant derrière lui d'épaisses empreintes dans la neige, Lucrécya sur ses talons. Une virevoltante mais non moins inquiétante musique slave et quelques rires gras s'élevaient de l'endroit.

Sa camarade regarda la devanture, l'air peu convaincue:

-T'es sûr, Lestrange? Ca m'a l'air un chouilla trop facile.

-Mais voyons, Rincevent! Justement! Ces incapables de la Fraternité doivent se figurer que nous allons aller jusqu'à un vrai château et nous y casser les dents au lieu d'aller droit à l'évidence!

Il ricana:

-Dieu qu'ils sont naïfs.

Il fit signe à sa comparse d'entrer:

-Après toi, je te couvre !

Rincevent lui lança un regard résigné:

-C'est ça, "Couvre-moi".

Darius la poussa vers la porte:

-Et n'oublie pas : une fois à l'intérieur, nous ne devons rien laisser au hasard! Ce portoloin peut-être n'importe quoi! J'ai même vu certaines personnes faire des portoloins sur des postiches!

Lucrécya entra dans le troquet.

Resté dehors, Darius croisa les bras:

-A bien y réfléchir, peut-être devrais-je rester ici et faire le guet. AAH !

Lucrécya venait de le tirer brutalement à l'intérieur.

Dès que les deux étudiants entrèrent dans la taverne, tous les éclats de rire et les conversations cessèrent, et un silence pesant s'abattit autour d'eux.

Lucrécya écarquilla les yeux : l'établissement "Le Château En T" était une toute petite échoppe glauque et noire de crasse.
Les rares clients, accoudés à quelques tables bancales, les regardaient avec suspicion. Ils étaient patibulaires, sales et vêtus de fripes, et semblaient tout droit sorti d'un autre temps.
Le barman, un individu rougeaud et excessivement barbu, les toisa de derrière la planche de bois clouée qui faisait office de comptoir :

-Cine sunteţi ? demanda-t-il d'une voix bourrue, aux accents slaves.

-Seigneur, des moldus pauvres et étrangers, gémit Darius en grimaçant de dégoût.

Lulu, elle, soupira et se retroussa les manches :

-Bon, ben, quand faut y aller…

Elle poussa le gérant, et passa entre les tables, où elle toucha tout ce qu'elle pouvait, sous le regard éberlué des clients. Elle tâtonna sur les verres de vodka, les tabourets, les tables, les assiettes, les bougeoirs, les chiffons qui faisaient office de serviette, la nourriture, et même sur les chapeaux des habitués.

-Dar ce faci ?! lança le tavernier, en levant un poing vers elle.

Darius passa derrière le comptoir, et passa la main sur les vieilles bouteilles graisseuses déposées sur l'unique étagère du troquet.

-Eşti nebun ?! lança un homme borgne à qui il ne restait que trois dents.

-Opreste-te ! Nebuni ! lui répondit son voisin, une chopine à la main.

Lulu toucha ladite chopine du bout du doigt.

-Que diable racontent-ils ? demanda Darius.

Il commença à toucher de manière convulsive un assortiment de petites cuillers, comme une personne pourvue de TOCs.

Lucrécya haussa les épaules, et palpa les cadres champêtres accrochés au mur :

-J'sais pas. On dirait du Moldavien, mais j'le parle pas couramment.

-Du "Moldavien" ? s'étonna le blondinet. Tu es quasiment illétrée, et tu veux me faire croire que tu reconnais un dialecte Moldave ? Essayes-tu de me mystifier, Rincevent ?

La jeune étudiante fusilla son camarade du regard, tout en tirant l'énorme moustache d'un vieillard trop abasourdi pour réagir.

-J'ai dit "on dirait", siffla-t-elle. Mon oncle Judas vient de Moldavie, et quand il est énervé il baragouine comme eux !

Darius esquissa un sourire moqueur à l'évocation dudit oncle. Il posa sa main sur un bocal malodorant rempli de cornichons, puis, se sentant observé, il leva les yeux.

Le tavernier le regardait du haut de son mètre 90, les bras croisés, les sourcils froncés. Le blondinet déglutit.

-Rincevent ? appela-t-il d'une voix étrangement aigue.

Puis, pour ne pas manquer le portoloin, il posa une main tremblante sur la boucle de ceinture de l'homme menaçant, puis lui lança un sourire innocent.

-JE NE FAISAIS QUE MON DEVOIR ! hurla Darius.

Il atterrit lourdement sur le sol enneigé. Deux secondes plus tard, la voix éraillée de Lucrécya résonna derrière lui:

-MAIS J'AI RIEN FAIT, CRENOM D'UN BALAI!

Elle retomba la tête la première dans un tas de neige boueuse et émit un grognement sourd. Darius se releva et tenta d'épousseter les flocons de ses habits en grelottant:

-Bon, eh bien, comme prévu, ton idée n'était pas des meilleures, Rincevent, fit-il de sa voix traînante habituelle.

Lucrécya extirpa sa tête du monticule de neige:

-Quoi?! Mais c'était...

-Ton idée, oui! l'interrompit Darius. Il fallait être totalement stupide pour croire que nous allions trouver quoique ce soit dans ce gourbi, hormis le tiphus évidemment.

Lucrécya tendit ses mains vers le cou du blondinet:

-Je vais te...

Darius recula prestement:

-Inutile de t'acharner sur moi, Rincevent, nous avons bien mieux à faire et rappelle-toi, nous ne sommes pas trop de deux dans cette aventure.

Il se mit à avancer dans les ruelles vides du village, Lucrécya maugréant derrière lui. Le soleil montait lentement dans le ciel, mais n'illuminait guère les lieux qui restaient toujours sinistres.

-Il va nous falloir trouver le vrai château, maintenant. fit Darius après quelques instants de marche silencieuse.

-Ouais.

Les deux comparses stoppèrent à l'entrée du village. Devant eux, une épaisse forêt de conifères se dressait à perte de vue.

-C'est forcément par là. fit Lucrécya.

Un hurlement lugubre s'éleva et Darius fit un pas en arrière.

-N'y aurait-il pas un autre moyen ? Peut-être pourrions nous emprunter une carriole aux habitants ?

Il se retourna et croisa le regard peu amène d'un paysan qui, fourche en main, le regardait fixement. L'homme se passa un doigt sur la gorge d'un air menaçant et Darius sursauta.

-...ou non. fit-il.

Lucrécya ramassa deux branches dans la neige et en tendit une à Darius:

-On aura besoin que de ça. Au moins pour le moment. dit-elle.

Elle se mit à avancer et disparut au détour d'un sapin.

-Es-tu sûre de vouloir aller par là? cria Darius.

Un second hurlement, guère plus encourageant que le premier, lui fit se dresser les cheveux sur la tête.

Le blondinet jeta un dernier coup d'oeil au paysan, qui aiguisait les pointes de sa fourche avec un sourire mauvais. Il se décida enfin:

-Rincevent, attends-moi!

Il détala hors du village et s'enfonça dans la forêt, à la poursuite de sa camarade.

Cela faisait longtemps, bien longtemps, trop longtemps, que Darius et Lulu marchaient dans cette forêt lugubre… ou plutôt, pataugeaient dans cette forêt lugubre.
Les chaussettes trouées que Lucrécya avait volées au clodo étaient désormais trempées de boue glaciale, et la jeune fille ne sentait plus ses orteils congelés.

Elle lorgna avec envie sur les chaussures du blondinet, qui marchait à ses côtés.

-Même pas en rêve, Rincevent, lâcha ce dernier.

Lucrécya fusilla son compagnon d'infortune du regard, en serrant dans son petit poing l'épaisse branche de bois qu'elle avait trouvé. Ça ne valait définitivement pas Séraphine, mais ça ferait l'affaire en attendant qu'elle retrouve sa bonne vieille batte… si jamais elle la retrouvait un jour.

Cette pensée lui serra le cœur.

-A ton avis, il est quelle heure ? demanda-t-elle d'une voix lasse, en grimpant par-dessus un gros tronc qui bloquait le passage.

-Assurément assez tard pour que nous ayons raté nos premiers cours de l'année scolaire, lâcha Lestrange de sa voix traînante. Satanés Alpha ! Ils entendront parler de Père, je peux te l'assurer, oh que oui !

-Tu sais, il y a d'autres moyens de s'en sortir dans la vie que de tout rapporter à papounet, railla Lulu, en le regardant s'échiner à passer au dessus du tronc.

-Tel que frapper tout le monde avec un gourdin ? siffla Lestrange.

Il gémit en tentant de s'agripper au bout d'arbre, et glissa lamentablement par terre, avant de s'étaler de tout son long dans une flaque de vase.

La jeune fille fronça les sourcils :

-Moi au moins j'affronte mes problèmes en face, cracha-t-elle, en pointant son bâton vers lui.

Darius se releva, et essuya autant qu'il put la boue de son visage.

-Qu'insinues-tu donc, Rincevent ?

-J'insinue que tu es une fouine gominée plus lâche qu'un Poülhõpô mouillé !

-Moi, lâche ? Comment oses-tu ?!

Darius ramassa la brindille que Lulu lui avait donnée comme arme potentielle, et qu'il avait laissé tombé dans sa chute. Il la brandit devant lui d'une main tremblante, plus pour prévenir d'éventuels coups que pour menacer son interlocutrice.

Mais en vain : la jeune fille cassa le bouclier improvisé avec son pied, et asséna au blondinet un bon coup de branche sur son crâne boueux.

-Aïeuh !

-TU AS RAISON, LES LÂCHES VALENT MIEUX QUE TOI ! rugit la jeune fille, dont les cheveux crépitaient à présent d'électricité sous l'effet de sa fureur. UN LÂCHE AURAIT ENVOYÉ UN HIBOU POUR ROMPRE ! TOI TU ES ENCORE PIRE ! TU N'ES QU'UNE LARVE DE VÉRACRASSE AVARIÉE!

-Ah c'est donc cela, pesta le blondinet en se frottant la tête. Tu es du côté de Malicia car j'ai enfin rencontré l'Amour de ma vie !

-J'en ai rien à faire que tu te maries avec cette pimbêche de Vilénie ! siffla Lucrécya à travers ses dents serrées. C'est même une merveilleuse idée, Mali mérite un mec mille fois mieux que toi ! MAIS BORDEL TU AURAIS PU LA PRÉVENIR ! ESPÈCE D'ABRUTI CONGÉNITAL ! TU TE RENDS COMPTE DE CE QUE TU LUI AS FAIT SUBIR ?! TU T'ES MIS UNE SECONDE A SA PLACE ?!

Darius eut soudain l'air penaud, comme un petit garçon pris en flagrant délit d'une grosse bêtise :

-J'ai enfin rencontré l'Amour de ma vie ! répéta-t-il à nouveau. Malicia devrait le comprendre, et…

-COMMENT VEUX-TU QU'ELLE COMPRENNE SI TU LUI DIS RIEN, CRÉNOM D'UN BALAI ?!

-Euh… eh bien… je…

-RHA, TU M'ÉNERVES, J'ME CASSE !

Lucrécya tourna les talons, et s'enfonça d'un pas assuré dans la forêt de plus en plus compacte et de plus en plus sombre.
Lestrange regarda son ennemie de toujours s'éloigner, puis courut à sa suite :

-Hey mais attends-moi ! Rappelle-toi, nous devons rester ensemble ! Tu as besoin de mon intellect supérieur, et j'ai besoin de tes muscles noueux de trollesse naine !

Lulu leva les yeux au ciel, et soupira. Leur quête promettait d'être longue, très longue.

Derrière eux, le corbeau aux yeux rouges croassa.

Darius grelottait.

Le crépuscule tombait doucement, rougissant les troncs désséchés qui les entouraient, lui et Rincevent.

La présence de cette dernière l'agaçait de plus en plus : quand elle ne lui faisait pas savoir par un lourd silence combien sa compagnie lui était désagréable, la furie lui hurlait dessus à pleins poumons. Et pourquoi ? Pour lui rabattre les oreilles avec Malicia! Alors qu'il avait fait au mieux.

Le regard de Darius se durcit alors qu'un souvenir de l'été lui revenait à l'esprit et qu'il se revoyait rentrant dans sa demeure avec l'espoir de la faire bientôt visiter à sa petite-amie. Peut-être était-il rentré trop tôt? Peut-être n'aurait-il pas dû écouter les conversations de ses parents, qui n'avaient même pas remarqué qu'il était revenu?

De toutes façons, il était trop tard.

Comme la devise de sa famille le clamait, un Lestrange ne revenait jamais sur sa parole. A moins que ça ne soit "un Lestrange paye toujours ses dettes" ?!

Le regard de l'Alpha s'assombrit. Maintenant qu'il y pensait, il ne se rappelait plus vraiment de cette devise.

Toujours est-il qu'il avait pris la bonne décision.

Il n'avait peut-être pas été un parfait gentleman. Mais après avoir froissé et jeté une quantité forcément dommageable pour l'environnement de parchemin, il lui était apparu évident que ne rien dire, ne rien expliquer était la méthode la plus sûre pour que Malicia ne veuille plus le voir, la moins susceptible de générer de fâcheuses confrontations et tentations. Malicia lui aurait probablement fait une de ses crises d'hystérie dont elle avait le secret, et il n'aimait pas qu'on lui dise ses torts. D'autant plus qu'il ne lui avait rien promis. Si ce n'est un amour éternel, mais cette fille lui avait fait perdre la tête avec ses courbes diaboliques et son odeur de fraise entêtante. Que l'homme qui n'avait pas usé de ce stratagème pour s'assurer les faveurs d'une belle lui jette la première pierre. De toute façon, le sort en était jeté bien avant que cette Gryffondor n'entre dans sa vie et détruise tout ce que sa Famille avait construit comme un dragon dans une boutique de potions explosives.

Il se devait de réparer les dégâts et de laver son honneur, même si ça devait lui prendre quarante années de sa vie.

Une main le força à stopper.

-Lestrange! fit la voix erraillée de Lucrécya, le tirant de ses pensées.

Darius se retourna:

-Quoi encore Rincevent ? Tu veux me faire un nouveau sermon sur mes agissements envers ton amie ? Il est peut-être temps pour toi de changer de refrain, ta compagnie est déjà assez pénible comme ça!

Sa camarade ouvrait des yeux ronds comme des soucoupes. Elle pointa du doigt quelque chose derrière Darius.

La chose en question émit un grognement rauque et sans vie. Une odeur nauséabonde lui parvint aux narines. On aurait cru celle de charognes pourrissantes laissées en plein soleil. Un frisson parcourut son échine.

Darius ne voulait pas savoir ce qui se tenait juste derrière lui.

Pourtant, il jeta malgré lui un bref coup d’œil et hurla.

La créature qui se tenait devant eux avait des yeux blanchâtres, et ressemblait à un énorme molosse mutilé couvert de plaies et de pustules purulentes qui se tenait sur ses deux pattes arrières. Un long filet de bave gouttait de ses dents pointues et formait à ses pieds, griffus et difformes, une flaque verdâtre.

La chose grogna et d'autres créatures garous s'approchèrent lentement, fixant à leur tour leurs proies. Ces choses n'étaient pas vivantes, vu l'état de putréfaction avancé de leurs chairs, hérissées de touffes de poils sombres.

Lucrécya serra très fort son bâton en main et déglutit:

-Lestrange, va falloir se serrer les coudes maintenant. murmura-t-elle, l'air peu rassurée.

Personne ne lui répondit et elle se retourna:

-Lestrange? répéta-t-elle.

Son camarade avait disparu et n'était plus qu'un point à l'horizon.

-Lestrange... grogna-t-elle.

Darius ouvrit un œil inquiet et eut un cri de surprise: ils étaient revenus sur le toit de l'église.

-Fichtre. lâcha-t-il, mal à l'aise.

-Je vais te tuer! cria Rincevent, les cheveux ébouriffés.

Elle se jeta sur le blondinet et les deux se mirent à se battre, roulant sur l'ardoise enneigée. Ils se frappèrent tant et si bien qu'avant même d'avoir compris comment, ils se retrouvèrent couverts de bosses et d'égratignures sur le sol du cimetière.

Finalement, les deux combattants se laissèrent quelques minutes de répit, allongés dans la neige boueuse.

-Je te hais, Lestrange. cracha Lucrécya.

-Sûrement pas autant que moi, Rincevent. siffla Darius.

-T'as intérêt à nous trouver un moyen de partir d'ici, ou je te jure que ton oeil au beurre noir ne sera rien comparé à ce que je te ferais.

Une troisième voix s'éleva:

-Tiens, tiens, mais qui revoilà... Je savais bien que vous tarderiez pas à revenir dans le coin.

Darius et Lucrécya se jetèrent un regard inquiet.

-Fichtre. fit le blondinet à nouveau.

Devant eux, le mendiant qu'ils avaient détroussé dans la matinée se craquait les doigts avec mauvaise humeur. A côté de lui, deux autres sans-le-sou les regardaient avec un air qui n'augurait rien de bon.

Darius se tourna vers sa camarade qui le fusillait du regard:

-Ben quoi ? fit-il d'une voix mal assurée. C'est toujours mieux que les garous, non?

-TU FAIS QUOI?! rugit Lucrécya en rattrapant, comme elle le pouvait Darius qui courait à s'en couper le souffle.

Elle sauta par-dessus un rondin de bois, manquant de s'y prendre les pieds. Derrière eux, les grognements se faisaient de plus en plus rares.

-JE ME MOQUE DE FAIRE PARTIE DE CETTE FRATERNITE, JE NE REMETTRAI PLUS LES PIEDS ICI! ON S'EN VA, TU M'ENTENDS? NOUS PARTONS, MAINTENANT! hurla Darius, pâle comme la mort.

Devant eux, l'orée de la forêt finit par se dessiner, soulignée par le crépuscule.

-MAIS ET LE PORTOLOIN ? reprit Lucrécya.

-JE NE VAIS PAS ME FAIRE DÉVORER PAR DES LOUPS-GAROUS ZOMBIES POUR UN RIDICULE PORTOLOIN!  SI CA SE TROUVE, CONNAISSANT LES ALPHAS, IL N'EXISTE MEME PAS!

Il chassa du bras un oiseau noir qui fondait droit sur lui.

-SORTONS DE CETTE FORET, VOLONS LE PREMIER CHEVAL VENU ET ADIEU, TRANSYLVANIE! A JAMAIS!

A deux pas de l'orée, Lucrécya saisit le bras de Darius.

-Attends!

Les deux camarades stoppèrent.

Lucrécya regardait la lisière avec inquiétude.

-Quoi, Rincevent ?! s'énerva Darius.

Sa partenaire s'inquiéta :

-C'est trop facile.

Un grognement se fit entendre derrière eux.

-Eh bien, tant mieux si c'est facile. lança Darius.

Il la poussa en avant mais voyant l'indécision de cette dernière, il lui saisit la main et la tira hors de la forêt.

La lisière scintilla.

La forêt disparut.

Et nos deux amis atterrirent sur un toit dur et froid.

Lucrécya se releva et considéra les alentours avec colère:

-On est revenus au point de départ ! On est coincés dans une foutue boucle !

Et, en colère, sans attendre la réaction de son compagnon de fortune, elle glissa une nouvelle fois au bas du bâtiment.

-Eh là !!! croassa une voix rauque.

La batteuse se retourna par réflexe, tout comme le blondinet qui la talonnait de près.

Le vieux Toby, emmitouflé dans une couverture miteuse plus sale encore que le slip qu'il portait comme seul vêtement, toisa les deux jeunes gens. Il ouvrit sa bouche édentée et fronça ses sourcils trop fournis :

-Vous allez me le payer, bande de salopiots! Et vous allez me rendre mes belles frusques et mes beaux godillots ! Vous m'avez eu par surprise la première fois, mais ça n'se reproduira plus ! Cette fois ci, je ne suis pas seul !

Deux gars à la mine patibulaire avancèrent alors, une grimace aux lèvres. Ils étaient aussi sales et malodorants que le malheureux Tobias.

Lestrange frémit, en se couvrant vivement le nez de son avant bras :

-Rincevent, à toi l'honneur ! lança-t-il d'une voix tremblante, en reculant à bonne distance.

Lucrécya soupira. Elle s'avança d'un pas ferme vers les trois SDFs.

Les trois hommes s'esclaffèrent en voyant la frêle jeune fille pointer vers eux une grosse branche mangée par la mousse.

-Tu comptes faire quoi, petite ? Nous assommer tous les trois ? lança le clochard, avant de ricaner grassement.

Ses deux compères l'imitèrent.

Lulu leva son gourdin, et esquissa un sourire mauvais.

Lestrange se pinça l'arrête du nez.

-Dieu que cette fille manque de féminité ! murmura-t-il, alors que des bruits de coups et des exclamations de douleur s'élevaient devant lui.

Lorsqu'il releva les yeux, Lucrécya était juchée au dessus des trois hommes inconscients, se frottant les mains d'un air satisfait.

-Regarde-moi ça, c'est parfait ! lança la jeune fille.

Elle tira les bottes de cuir élimées et passées de l'un des clodos, et les enfila prestement.

-Dépêche-toi donc, Rincevent, pesta le blondinet, nous allons nous enfuir par un autre côté ! A l'évidence, un maléfice a été jeté sur la forêt, mais il doit y avoir une faille quelque part, et je la trouverai, foi de Lestrange !

Il sortit aussitôt du cimetière, empruntant une porte dérobée qu'ils n'avaient pas essayé lors de leur premier passage.

-'pourrait dire merci, grommela la brunette, avant de suivre Darius d'un pas traînant.

Un éclair éclaira brièvement les ténèbres qui étouffaient le village, et un roulement de tonnerre le suivit de près, faisant trembler la vitre à côté de laquelle Lucrécya s'était assise.
Cette dernière soupira, agacée.

Cela faisait plusieurs heures que Darius et elle s'étaient réfugiés dans ce vieux cabanon de bois exigu, à la porte branlante. Cela faisait également plusieurs heures que le vent hurlait dehors, et qu'une pluie diluvienne frappait sur l'unique lucarne de la bicoque.

Ils avaient passé toute la soirée à courir de part et d'autres de ce petit village. Mais à chaque fois qu'ils parvenaient à s'éloigner un tant soit peu du centre de la bourgade en passant par la forêt, ils revenaient inéluctablement sur le toit de l'église, ce qui avait le don de la faire enrager.

-Oublions un peu nos soucis ! ♪ Quelle chance nous avons d'être en vie ! ♪ Le monde peut être si joli, ♪ si nous nous ouvrons à autrui ! chantonna-t-elle, à voix basse, pour tenter de se remonter le moral.

Mais en vain.
Lulu était à deux doigts de la crise de nerfs. Elle avait froid, elle avait faim, mais pire que tout, elle avait l'impression qu'elle ne pourrait jamais plus sortir de ce maudit village. Marcus lui manquait terriblement, et, à sa grande surprise, Rufus lui manquait presque autant.

-Nous devons forcer la joie et la beauté, ♪ partout nous pourrons en trouver ! ♪ Passer notre temps à ruminer ne pourra en rien nous aider… lâcha-t-elle, triste.

La jeune fille secoua la tête pour essayer de penser à autre chose. Elle se leva, et s'approcha de Darius,

Ce dernier, qui s'était mis à l'extrême opposé de cette baraque guère plus grande qu'une cabane à outils, était allongé sur le sol. Il griffonnait avec un bout de charbon sur un bout d'étoffe moisie, à la lueur d'une boule de suif qui faisait office de bougie, et qu'ils avaient volée à un paysan hargneux.

-Qu'est-ce que tu fabriques ?

-Une carte.

Il se redressa, et tendit à sa compagne d'infortune son œuvre.
-Et tu as fait tout ça avec un bout de charbon ?! s'exclama la jeune fille, passablement impressionnée.

-Oui, ce n'est pas très bon, j'en conviens, marmonna Darius. Mais peu importe : j'ai saisi l'essentiel de l'architecture de ce village. Ce n'est qu'une cuvette circulaire nichée dans la forêt. S'il y a un passage, je ne l'ai pas encore trouvé. Mais il doit forcément y avoir un passage.

-Pourquoi "forcément" ?

-Parce que les Alphas ont forcément prévu une retraite pour ceux et celles qui ne souhaitent plus faire partie de leur maudite fraternité !

-N'importe quoi ! C'est sur tous les alentours qu'ils ont jeté leur saleté de sortilège ! A chaque fois qu'on va dans la forêt on finit par revenir sur le toit de l'église, et j'en ai marre de devoir redescendre et assommer le vieux clodo ! Et puis tiens, parlons-en, du vieux clodo ! Il cherche le portoloin depuis quand, lui ?

-Ce n'est pas parce que le premier cracmol va-nu-pieds n'a pas trouvé le moyen de s'enfuir que je ne vais pas le trouver ! Je suis un Lestrange, nom de nom !

Il se renfrogna, et grommela des propos incompréhensibles en faisant mine de fignoler les finitions de sa carte.
Lucrécya était lasse, affamée et énervée, et la dernière chose dont elle avait envie, c'était d'une énième prise de bec avec Lestrange. Aussi elle prit sur elle pour ne pas le traiter d'imbécile gominé. Elle s'assit en tailleur devant lui, et regarda la carte en silence.

-On devrait chercher le portoloin, fit-elle au bout d'un moment. Regarde, là et là y'a des maisons pourries, et là, y'a des fermes toutes moisies ! On devrait y faire des raids. On rentre en vitesse, on touche tout ce qu'on peut, et on déguerpit en vitesse si on fait chou blanc.

Darius regarda sur la carte les endroits que lui désignait Lucrécya, comme s'il les voyait pour la première fois.

-Mais c'est une excellente idée ! Je savais que je finirais par avoir un éclair de génie : nous allons nous introduire furtivement chez ces loqueteux de Moldus ! Ils n'ont pas l'air d'être si nombreux, nous auront vite fait le tour, et à nous le portoloin !

Lulu fronça les sourcils :

-Oui, je sais, c'est ce que je viens de di…

-Quelle idée fabuleuse je viens d'avoir ! C'est donc résolu, nous nous y mettrons dès demain.

Il souffla sur la lumière ténue de la bougie, et s'allongea à nouveau.

-Mais c'est mon…

-Silence, Rincevent, trêve de papotages inutiles, nous avons besoin de repos pour l'exécution de mon plan !

Lucrécya grogna, et s'adossa contre le mur froid de la bicoque.

Un roulement de tonnerre laissa éclater sa rage au dehors.

Quelques jours avaient passés.

Tout en s'adossant au mur glacé de la bicoque qui lui servait désormais de maison, Lucrécya se demanda combien exactement. Tout semblait brumeux dans sa tête. Quelque chose lui disait que ça ne pouvait pas faire plus de trois ou quatre jours qu'ils vivaient ainsi… mais elle avait pourtant l'impression que ça durait depuis des siècles.

Sa tête tournait, et elle voyait des petits points blancs danser devant ses yeux. C'était à cause de la faim, à n'en pas douter. Leur dernier repas datait de la veille, et consistait en un rutabaga cru immonde qu'ils avaient volé dans le champ le plus proche.

La jeune fille soupira. Elle pensait être particulièrement résistante à la faim, grâce à son enfance à l'orphelinat pour enfants sorciers Ste Miquette, où elle avait connu la misère, la famine et le travail forcé.
Mais elle avait tord. Elle s'était habituée au luxe d'avoir trois repas par jour, et son estomac lui réclamait à corps et à cris.

Lulu s'emmitoufla davantage dans sa veste sale, et gémit :

-Ah, j'ai faim !

Elle attendit quelques instants l'habituelle réponse sarcastique de Darius… en vain.
Elle tourna la tête vers son compagnon d'infortune :

-Lestrange ?

Ce dernier tremblait dans son coin, pâle comme la mort et plus cerné que jamais. Sa tête, posée contre le mur, fixait à travers l'unique fenêtre le corbeau qui les suivaient partout, et qui s'était installé sur un arbre mort.

Lucrécya se leva et posa une main compatissante sur l'épaule du blondinet :

-Eh ben, Lestrange, reprends-toi, mon vieux !

-Pourquoi ? gémit ce dernier d'une voix éteinte. C'est fini, tout est fini, on va tous mourir !

-Allons, mange un peu de rutabaga cru, ça ira mieux !

Darius jeta un regard noir à son interlocutrice, qui reprit :

-Bon, ok, pas de rutabaga. Mais il faut arrêter d'être aussi pessimiste ! On va s'en sortir ! Je retrouverai mon bébé et mon mari, et toi, la pouffe qui te sert de fiancée ! Ca va aller ! Ca ne peut aller que mieux ! Parce que ça ne peut pas être pire ! C'est logique !

Lestrange ne parut pas convaincu. Il s'apprêtait à répondre lorsqu'une sorte de clameur menaçante se fit entendre au dehors.

Lucrécya fronça les sourcils, et ouvrit la porte. Elle écarquilla les yeux. Une vague de vent glacial s'engouffra à l'intérieur.

Devant le seuil de la cabane, une foule de paysans à l'air passablement énervés, armés de fourches et de torches enflammées, les fixait d'un air méchant, en baragouinant dans une langue slave incompréhensible.

-Tu disais, Rincevent ? ironisa le blondinet.

-FERME DONC CETTE PORTE, RINCEVENT! Hurla Darius.

Mais avant que sa comparse ne parvienne à esquisser le moindre geste, la foule enragée les avait saisis. Les deux se débattirent comme ils le pouvaient, hurlant à pleins poumons. Deux imposants cosaques les avaient jetés dans une cage que transportait une carriole en bois vermoulu.

Le cortège se mit en route vers le village.

Lucrécya et Darius secouèrent les barreaux de fer avec force.

-LAISSEZ-NOUS! cria la première.

Ses cheveux, chargés d'électricité comme à chaque fois qu'elle était en colère, crépitaient.

-C'EST UNE HONTE! NOS DROITS SONT VIOLES! LAISSEZ NOUS PARTIR! hurla le blondinet à l'attention d'un de ses geôliers qui ricana et lui cracha dessus. J'EXIGE UN AVOCAT !

Un rire mauvais s'éleva quelque part dans la foule. Soudain, le vieux Tobias émergea de la multitude :

-Alors, on s'est fait avoir ? beugla-t-il en se tenant les côtes de rire.

-SORS NOUS D'ICI! Ordonna Darius.

-Ah oui? Et pourquoi?

Darius réfléchit deux secondes avant de tenter, penaud:

-Tu n'as donc aucune pitié pour tes confrères Alphas ?

-LES ALPHAS ?! CES FILS A PAPA DEGENERES QUI M'ONT LAISSE POURRIR QUARANTE ANS DANS CE GOURBI ? s'insurgea le mendiant. TU SAIS CE QUE JE LEUR FAIS AUX ALPHAS?

Darius le coupa :

-Si ça ne vous dérange pas, je préfère ne pas savoir. Je tolère mal la vulgarité.

-Oh Lestrange, la ferme. fit Lulu qui shootait contre les barreaux.

-En tout cas, va y avoir un joli spectacle ! brailla Tobias avec un air mauvais. Je ne veux surtout pas manquer ça.

-Qu...Que vont-ils nous faire? demanda le blondinet, les yeux ronds.

-Vous serez jugés.

-Jugés mais pour quoi ?

-Vous avez pas été très discrets ces derniers jours, en entrant dans les baraques pour trouver le portoloin, les gars. On va dire que j'ai profité de vos effractions pour voler un truc ou deux au passage.

-QUOI?! s'écrièrent ses deux interlocuteurs.

Le mendiant renversa la tête et se tenant la bedaine, partit d'un rire mauvais.

-Vous êtes recherchés pour avoir cambriolé la moitié de la ville! Et ils ne rigolent pas avec ça dans les parages! Ils vont vous couper les mains à coup sûr! Si c'est pas pire.

Il s'enfonça dans la foule en ricanant :

-Allez, à bientôt les manchots! On se revoit sur la Grand'place!

Darius et Lucrécya regardèrent partir l'homme. Finalement, Darius prit la parole :

-Manchots ? répéta-t-il.

Il saisit Lucrécya par les épaules et se mit à hurler, hystérique, les yeux grands ouverts :

-Rincevent, nous devons partir d'ici! Immédiatement. Fais quelque chose!

-Mais je sais pas quoi faire ! s'écria Lucrécya.

Elle se mit à tourner comme un lion en cage.

-Si seulement, nous avions nos baguettes. lança Darius. Cette aventure ne serait qu'un mauvais souvenir !

-On a pas de baguettes! hurla sa comparse.

Elle stoppa et regarda ses mains. Darius comprit très vite ce qui venait de lui traverser l'esprit:

-Rincevent, ne t'avise pas de faire ça!

-T'as une meilleure idée, peut-être ?

Darius se rapprocha d'elle, la gorge serrée :

-Rincevent, crois-moi, si nous avons des baguettes c'est pour une raison. Il faut être d'un niveau très avancé pour jeter des sorts sans elles. Tu ne peux pas juste agiter tes mains et espérer que...

-Espérer que quoi, Lestrange ? Je vais pas rester ici à attendre qu'on me coupe les mains! Je préfère m'en servir!

Lestrange s'empressa de se rouler en boule dans un coin de la cage. Lucrécya, elle, tendit les mains vers les barreaux de la cage.

-CRACBADABOUM! hurla-t-elle.

Darius parvint en haut du toit d'une vieille chaumière, caché par la capuche de sa cape. Le village tout entier s'était rassemblé sur la place du village, et il avait profité de cela pour s'introduire chez un des habitants et lui prendre de quoi se cacher. Sa tête lui tournait encore un peu et il essayait tant bien que mal de ne pas tomber et d'alerter ainsi les paysans qui, fourches brandies, conspuaient Lucrécya, solidement attachée à un bûcher.

-VOUS ALLEZ TOUS LE REGRETTER! CRÉNOM D'UN BALAI! hurlait cette dernière en s'agitant comme une possédée.

Darius fronça les sourcils. Des bribes de ce qui s'était passé lui revenaient maintenant à l'esprit. L'explosion incontrôlée. La cage qui s'était envolée sous l'impact. Le souffle qui l'avait précipité dans les buissons le cachant aux yeux de leurs bourreaux. Les cris lorsque la fumée s'était dissipée et que les habitants avait découvert Lucrécya, sonnée, les cheveux ébouriffés, les habits cramés, mais saine et sauve.

Le murmure qui avait suivi et qui s'était transformé en brouhaha horrifié:

-Vrăjitoare! Vrăjitoare!!!

Les cris avaient sortis Darius de sa léthargie. Il avait ouvert un œil douloureux et regardé sans savoir quoi faire la foule fondre sur Lucrécya et l’assommer.

-A murit Vrăjitoare! avaient-ils tous répétés. Et sans connaître un seul mot de leur obscur dialecte, Darius savait, pour avoir vu ce genre de situations dans de multiples picturines, ce que ces mots voulaient dire...

-A mort la sorcière... avait-il murmuré, terrifié.

Il tenta de distinguer Lucrécya qui s'égosillait. A côté d'elle, un notable en habits de velours rouge lisait une liste longue comme le bras. Mais il n'y avait aucun doute sur l'issue de ce simulacre de procès. D'ailleurs un bourreau qui se tenait non loin, choisissait avec méticulosité la torche qu'il allait utiliser.

Il devait faire quelque chose. Certes, il s'agissait de Rincevent, il l'avait lui-même souvent menacée de mort et ourdi de nombreux complots visant à la détruire. Mais il n'allait pas la laisser être brûlée vive. Même elle méritait une mort moins affreuse, sans compter que si elle mourrait maintenant, comment allait-il sortir seul de cet enfer ? S'il laissait faire cela, Flynn ne voudrait certainement plus le laisser être le parrain de son fils ou allait faire de lui de la charpie. Et Malicia... il n'osait même pas y penser. Ne restait qu'une seule solution. User de ses pouvoirs. Et espérer qu'il les contrôlerait mieux que Rincevent...

-Am decis ca vrajitoarea a fost de a ispăşi păcatele lui de suferinţă flăcările iadului, de unde a venit! clama le notable en levant les bras.

La foule l'acclama. Et l'homme leva la main pour la faire taire. Il allait faire signe au bourreau d'une seconde à l'autre. Darius se leva et fit quelques pas sur le toit :

-Excusez-moi ? fit-il.

La foule se tourna vers lui et le pointa du doigt.

-VRAJITOR! s'écria une femme.

Darius leva le bras:

-Oui, exactement. Vrajitor. fit-il d'un ton menaçant. Et Vrajitor n'est pas satisfait.

Il désigna Lucrécya :

-Rendez la fille. Ou je vous assure qu'un grand malheur va s'abattre sur votre village de dégénérés médiévaux.

Devant le silence ambiant, et le regard intrigué de la foule, Darius se rappela de quelque chose :

-C'est juste, vous ne parlez pas un mot d'anglais. fit il d'un ton las. Bon, je vais faire en sorte qu'on se comprenne.

Il pointa l'église et s'écria :

-Draconis Inflammarae!

Il ne se passa rien. La foule se mit à rire. Et Darius soupira de dépit :

-Evidemment.

Soudain, les badauds écarquillèrent les yeux et se mirent à pointer quelque chose derrière le blondinet. Darius se retourna et hurla. Un gigantesque dragon de flammes fonçait droit sur lui. Il se baissa, se plaqua contre le toit et l'évita de justesse. La créature frappa de plein fouet le toit de l'église et l'embrasa avant de s'évaporer dans les airs.

Tous se mirent à courir dans tous les sens, en proie à une vive panique. Darius se releva et mis ses bras sur ses hanches, très satisfait de lui-même:

-Pourquoi diable doit-on utiliser des baguettes ? Je suis bien meilleur sans.

Il se mit à rire en regardant le brasier s'intensifier et les villageois s'affoler : c'était une diversion parfaite.

A ces mots, il se rappela pourquoi il était là et jeta un coup d’œil à Lucrécya pour voir comment elle allait.

Le brasier dévorait l'église. La croix tout en haut du toit prit feu et tomba au sol. Elle atterrit au pieds de Lucrécya. Le bûcher s'enflamma aussitôt.

Darius sembla contrarié :

-Fichtre. fit-il.

-Aguamenti ! AGUAMENTI ! criait Lucrécya de sa voix éraillée.

Pour la énième fois, la jeune fille se prit l'équivalent d'un seau d'eau glacé en pleine poire. Mais le feu, qui avait commencé à prendre en bas du bûcher à cause du sort de cet abruti de Lestrange, n'avait pas reçu une goutte. Il brûlait même très bien, grimpant de brindilles en brindilles, aveuglant Lulu de son épaisse fumée noire.

La prisonnière commença à paniquer. Elle fut prise d'une quinte de toux, puis tenta de desserrer les liens qui attachaient ses mains au piquet. En vain.

-Crénom d'un balai !

Les flammes montèrent à nouveau, et commencèrent à lécher ses godillots troués.
La jeune fille se mit à trembler, tandis que des larmes embuaient ses yeux.

-CRENOM D'UN BALAI ! JE NE VEUX PAS MOURIR COMME ÇA !

-Mais cesse donc de gigoter, Rincevent ! fit la voix agacée de Darius, derrière elle.

-Lestrange ?! s'étonna Lulu, en reniflant. Tu… tu es revenu… pour moi ?!

En quelques secondes, elle eut les mains libres. Elle se tourna vers Darius, stupéfaite.
Ce dernier regardait avec effroi l'amoncellement brinquebalant de brindilles sèches enflammées sur lequel ils se trouvaient. Il prit une goulée d'air frais, et décréta :

-Allez, Rincevent, il va nous falloir sauter en même temps.

Les jambes de Lucrécya flageolèrent :

-Vais…pas… y arriver ! gémit-elle, au bord des larmes.

-Ce n'est pas le moment de tergiverser !

Un pan du bûcher s'effondra dans les flammes.

-Non ! Je peux pas ! s'écria la jeune fille, qui pleurait tout à fait à présent.

Les yeux de Darius s'écarquillèrent d'horreur, alors qu'une flammèche jaune vif jaillit sous ses pieds.

-J'espère que tu plaisantes ! s'écria-t-il. C'est beaucoup plus facile que de faire l'Etoile de Mer avec un Cognard ! Si tu arrives à faire ça, tu peux sauter sans problème, nom de nom !

Lulu ferma les yeux. Darius soupira, puis lui prit la main.

-A trois ! Un… deux… TROIS !

Lucrécya serra la main du blondinet jusqu'à la tordre, et sauta.

Lucrécya et Darius tombèrent lourdement à terre, au même moment où le bûcher s'effondrait dans un brasier.

Le blondinet réalisa que le bout de son pantalon était en feu. Il glapit et le frappa de la paume de sa main pour l'éteindre.

Lulu, meurtrie par sa chute, tenta de se remettre debout. Elle tremblait de tous ses membres. Il s'en était fallu d'un cheveu ! Quelques secondes de plus, et Rufus se retrouvait orphelin de mère.

Darius soupira :

-Eh bien, on peut dire qu'on a eu chaud, n'est-ce…

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase : Lucrécya venait de lui sauter dans les bras, et le serrait, tremblante, pleurant contre son épaule. Lestrange esquissa une moue de dégoût. Il n'osait pas bouger, et ne savait comment réagir.
Au bout de tous ces longs mois à côtoyer Rincevent, il l'avait vu passer par différents états, de la rage meurtrière à la joie sanguinaire, en passant par l'ennui assassin. Mais la reconnaissance larmoyante, ça, c'était nouveau.

En désespoir de cause, il finit par tapoter l'épaule de la jeune fille en récitant :

-Là, là…

Au bout d'un moment, Lulu libérera le malheureux de son étreinte.

-Allons dans la forêt, fit-elle, en essuyant ses larmes d'un revers de manche. Avant que les villageois s'occupent à nouveau de nous.

Lestrange acquiesça, et les deux se mirent à courir comme des dératés.

Ils ne s'arrêtèrent que de longues minutes plus tard, essoufflés. Ils étaient au beau milieu de nulle part, mais à travers les silhouettes d'arbres, on pouvait quand même distinguer une lueur rougeoyante au loin.

-Tu as foutu un vrai bordel, soupira l'étudiante, en s'asseyant au bas d'un gros tronc.

-Tu crois que le feu va détruire le portoloin ? gémit Darius.

Un long silence suivit la remarque.Lucrécya et Darius tombèrent lourdement à terre, au même moment où le bûcher s'effondrait dans un brasier.

Le blondinet réalisa que le bout de son pantalon était en feu. Il glapit et le frappa de la paume de sa main pour l'éteindre.

Lulu, meurtrie par sa chute, tenta de se remettre debout. Elle tremblait de tous ses membres. Il s'en était fallu d'un cheveu ! Quelques secondes de plus, et Rufus se retrouvait orphelin de mère.

Darius soupira :

-Eh bien, on peut dire qu'on a eu chaud, n'est-ce…

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase : Lucrécya venait de lui sauter dans les bras, et le serrait, tremblante, pleurant contre son épaule. Lestrange esquissa une moue de dégoût. Il n'osait pas bouger, et ne savait comment réagir.
Au bout de tous ces longs mois à côtoyer Rincevent, il l'avait vu passer par différents états, de la rage meurtrière à la joie sanguinaire, en passant par l'ennui assassin. Mais la reconnaissance larmoyante, ça, c'était nouveau.

En désespoir de cause, il finit par tapoter l'épaule de la jeune fille en récitant :

-Là, là…

Au bout d'un moment, Lulu libérera le malheureux de son étreinte.

-Allons dans la forêt, fit-elle, en essuyant ses larmes d'un revers de manche. Avant que les villageois s'occupent à nouveau de nous.

Lestrange acquiesça, et les deux se mirent à courir comme des dératés.

Ils ne s'arrêtèrent que de longues minutes plus tard, essoufflés. Ils étaient au beau milieu de nulle part, mais à travers les silhouettes d'arbres, on pouvait quand même distinguer une lueur rougeoyante au loin.

-Tu as foutu un vrai bordel, soupira l'étudiante, en s'asseyant au bas d'un gros tronc.

-Tu crois que le feu va détruire le portoloin ? gémit Darius.

Un long silence suivit la remarque.Lucrécya et Darius tombèrent lourdement à terre, au même moment où le bûcher s'effondrait dans un brasier.

Le blondinet réalisa que le bout de son pantalon était en feu. Il glapit et le frappa de la paume de sa main pour l'éteindre.

Lulu, meurtrie par sa chute, tenta de se remettre debout. Elle tremblait de tous ses membres. Il s'en était fallu d'un cheveu ! Quelques secondes de plus, et Rufus se retrouvait orphelin de mère.

Darius soupira :

-Eh bien, on peut dire qu'on a eu chaud, n'est-ce…

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase : Lucrécya venait de lui sauter dans les bras, et le serrait, tremblante, pleurant contre son épaule. Lestrange esquissa une moue de dégoût. Il n'osait pas bouger, et ne savait comment réagir.
Au bout de tous ces longs mois à côtoyer Rincevent, il l'avait vu passer par différents états, de la rage meurtrière à la joie sanguinaire, en passant par l'ennui assassin. Mais la reconnaissance larmoyante, ça, c'était nouveau.

En désespoir de cause, il finit par tapoter l'épaule de la jeune fille en récitant :

-Là, là…

Au bout d'un moment, Lulu libérera le malheureux de son étreinte.

-Allons dans la forêt, fit-elle, en essuyant ses larmes d'un revers de manche. Avant que les villageois s'occupent à nouveau de nous.

Lestrange acquiesça, et les deux se mirent à courir comme des dératés.

Ils ne s'arrêtèrent que de longues minutes plus tard, essoufflés. Ils étaient au beau milieu de nulle part, mais à travers les silhouettes d'arbres, on pouvait quand même distinguer une lueur rougeoyante au loin.

-Tu as foutu un vrai bordel, soupira l'étudiante, en s'asseyant au bas d'un gros tronc.

-Tu crois que le feu va détruire le portoloin ? gémit Darius.

Un long silence suivit la remarque.

Darius regardait l'épaisse fumée qui s'élevait du village avec des yeux ronds. Finalement, il prit la parole :

-De toutes façons, nous avions fouillé l'intégralité de ce village. Reste l'autre piste.

-Quoi, celle du château hanté ? s'exclama Lucrécya. Mais on a tourné en rond dans les environs sans jamais rien trouver! Qui te dit que le clodo nous a dit la vérité ? Il a essayé de nous tuer au moins dix fois cette semaine!

Darius ne sembla pas apprécier cette remarque :

-Et a-t-on beaucoup d'autres choix, je te le demande ? siffla-t-il. Si tu n'avais pas brulé la moitié du village...

Lucrécya ouvrit des yeux furibonds:

-Quoi?! Mais c'est toi qui a tout crâmé!

-Tout cela ne serait pas arrivé si Madame n'avait pas cru bon de n'en faire qu'à sa tête quand nous étions prisonniers.

-Et j'aurai pas fait ça si tu n'avais pas paniqué comme une fillette !

Darius croisa les bras:

-Je vois que la reconnaissance n'aura pas duré bien longtemps. Tu ne peux donc pas tenir cinq minutes sans agir comme une trollesse ?

-Et toi tu ne peux pas tenir cinq secondes sans agir comme un... un..

Lucrécya s'éloigna d'un pas rageur et partit shooter dans un arbre. Elle se fit méchamment mal, jura et se mit à sautiller sur un seul pied.

Darius leva les yeux au ciel et haussa les épaules:

-Nous disions donc : le château. fit-il de sa voix traînante.

Lucrécya s'avança vers lui :

-Mais il existe pas ce château! Un truc de cette taille, on le verrait!

-Il appartient peut-être à un mage qui l'aurait rendu invisible?

-C'est ça! Et comment on fait alors ? rétorqua sa camarade en s'agitant. On tire sur une branche au hasard en espérant que...

Elle pointa brusquement du doigt le tronc dans lequel elle avait shooté quelques instants auparavant. Le tronc de l'arbre s'était mis à trembler et semblait s'ouvrir peu à peu. Darius s'approcha d'un pas hésitant et jeta un coup d’œil dans l'ouverture:

-Il... il y a comme un passage sous terre.

-Hein ?

Lucrécya le poussa et mis sa tête dans le creux de l'arbre :

-Crénom d'un balai! Mais t'as raison! Ça a l'air profond comment va-t-on...AAAH!

Lestrange venait de la pousser la tête la première dans le trou béant:

-Après toi, Rincevent...

-Voyez vous, chère Svjetla... Vlaztj.... enfin quelque soit votre nom impronomçable, je ne suis pas méchant. fit un homme petit, chauve et rondouillet en se versant une franche rasade de vin dans une chope de bière.

Il but son verre d'une traite et s'essuya la bouche du revers de la manche de sa blouse autrefois blanche :

-Mais hélas, la science nécessite des compromis. Des compromis et des sacrifices.

Au dehors, un éclair embrasa le ciel et la jeune femme qu'il avait attachée sur une table d'opération vétuste sursauta, les yeux horrifiés.

-Imaginez, Stasjzvt... enfin, très chère, que cette expérience réussise! s'exclama l'homme avec des yeux de fou. Vous seriez immortelle, la première d'une espèce éteinte depuis des centaines d'années!

La jeune femme hurla quelques insultes inaudibles à travers le baillon qui lui enserrait la bouche. Le Docteur lui mit un doigt sur les lèvres :

-Allons, allons, du calme. Ce n'est pas parce que toutes vos prédé...prédécestri... enfin les charmantes personnes qui vous ont précédée sont mortes dans de terribles souffrances qu'il faut vous énerver. Et puis, si ça réussit, vous auriez la chance de devenir mon épouse et de me transformer! Imaginez un peu : Mme Acula! Quelle nom merveilleux!

Le Docteur mit des gants en caoutchouc jaunes et leva avec difficulté la main vers un levier en fer qui contrôlait une inquiétante machine pourvue d'une centaine de bras. Chacune de ses extrémités tenait des objets aussi variés que des seringues, des ciseaux, des fioles de couleur verdâtre qui n'inspiraient guère confiance.

-Allons-y, ma toute belle! s'exclama le scientifique. Il est grand temps de faire de vous un vampire!

Un vacarme assourdissant l'interrompit. Un mur venait de tourner sur lui-même laissant apparaître deux nouveaux venus.Le docteur enleva les épaisses lunettes qu'il avait sur le bout du nez, surpris :

-Qui ose interrompre le Dr Acula en ce moment capital ? lança-t-il avec mauvaise humeur.

Darius et Lucrécya se jetèrent un coup d’œil paniqué et sourirent, gênés.

-Peut-être pourrait-on demander à ce gentil expérimentaliste s'il ne sait pas, par un hasard accommodant, comment partir d'ici ? chuchota le blondinet d'une voix peu assurée.

-Euh, je ne suis pas sûre que… commença la jeune fille.

-Parfait tu t'y colles !

Darius poussa la brunette en avant. Cette dernière se retrouva juste en face du Dr Acula. Elle émit un petit rire, gênée.

C'était un homme petit, trapu, chauve et à la propreté douteuse.
Il était vêtu d'une longue blouse jaune de saleté, et de gants en caoutchouc qui avaient l'air de n'avoir que trop servis. De grosses lunettes étranges sur son nez rendaient ses yeux plus globuleux qu'ils n'étaient.

-Mais qui diable êtes-vous donc ?! lâcha-t-il enfin, la surprise passée.

Lulu jeta un coup d'œil à la jolie jeune femme bâillonnée, attachée sur une grande planche de bois, contre le mur, les bras mécaniques de l'étrange machine s'agitant autour d'elle. Elle était vêtue à la mode vieillotte des villageois, et lui lançait des regards suppliants.

-Euh... Excusez-moi de vous déranger, monsieur, commença Lucrécya, sans grande conviction. Mais… est-ce que vous auriez vu notre… portoloin ?

Elle lança au scientifique un sourire factice.

Le docteur fronça les sourcils :

-Porte aux quoi ? Qu'est-ce donc ?

-Seigneur, encore un Moldu, soupira Darius d'un air dégoûté, en s'avançant à côté de sa camarade. Bon, excusez-nous, Monsieur le Moldu à l'esprit dérangé, nous allons visiter votre château, vous ne nous remarquerez même pas. Allez, viens, Rincevent.

Le docteur releva ses grosses lunettes sur le front, et les fusilla du regard :

-Vous n'irez nulle part ! Je ne laisserai quiconque interrompre mon expérience ! rugit-il en levant ses bras au plafond. IGOR ! IGOR !

Une ombre gigantesque s'abattit sur les deux étudiants.

-Foui maîtrrrre… fit une voix caverneuse à fort accent slave, juste derrière eux.

-Débarrasse-toi de ça, que je continue mes expérimentations vampiriques avec ma chère fiancée Zlatvs… Swzatzv… Future madame Acula !

-Bien maîtrrre…

Darius jeta un bref coup d'œil derrière lui, et blêmit.

-Il y a un géant musculeux, suturé et particulièrement laid juste dans notre dos, c'est ça ? soupira Lulu.

-Y'a de ça, couina le blondinet.

La jeune fille soupira, et agrippa le bras de Darius. Les deux roulèrent de côté alors qu'une silhouette titanesque et masquée frappait d'une masse d'arme l'endroit précis où ils se tenaient quelques secondes plus tôt. Le sol se fendilla.

-TUE-LES IGOR ! TUE-LES ! encourageait le docteur.

Darius recula, jusqu'à sentir le mur de pierres glacées dans son dos.

-Je vais refaire mon sortilège de tout à l'heure ! lança-t-il. Je suis bien plus puissant sans baguette ! DRA…

-NON ! SURTOUT PAS ! le coupa la jeune fille.

Elle força son compagnon d'infortune à se baisser, évitant un énième coup la lourde boule hérissée de pics de la masse d'armes.

-Je pense pas que le coup du dragon de feu, ça soit une bonne idée à l'intérieur d'une pièce de cette taille, trancha-t-elle. J'ai pas échappé au bûcher pour finir en grillade alors qu'on vient enfin de trouver ce foutu château hanté !

Lestrange fit une moue, mais ne la contredit pas.

-Tu penses à quoi alors ? marmonna-t-il.

-FONCER DANS LE TAS !

Lulu sauta vers un établi, où le savant fou avait étalé ses outils. Elle attrapa une scie rouillée, qu'elle jeta au blondinet, puis se saisit d'un vieux marteau poussiéreux.

-Libère la villageoise ! Moi j'm'occupe d'Igor !

Elle se jeta sur le colosse de plus de deux mètres.

-BANDA DE IDIOTI! ACUM ESTE MAI RĂU DECÂT NIMIC! SUNTEM TOŢI O SĂ MOARĂ! TOATE! TE URĂSC!

-OH CA SUFFIT HEIN ! ON A COMPRIS ! C’ETAIT PAS UNE BONNE IDEE !

Dans un coin sombre de la geôle où ils avaient été enfermés, Lucrécya croisa les bras avec mauvaise humeur. Elle croisa le regard sombre de Darius à l’autre bout. Le blondinet se bouchait les oreilles afin de ne plus entendre les injures que leur jetait la jeune slavonne qu’ils avaient sauvée.

Enfin, sauvée était un bien grand mot. L’expérience du Dr Acula avait été stoppée net quand le colosse suturé qui lui servait de garde les avait balancé tous deux sur la table d’opération, comme s’ils avaient été aussi légers que des plumes.

Sans pouvoir faire quoique ce soit, ils avaient été amenés dans les caves du château et avaient été jetés comme des malpropres au fond d’une cellule enténébrée ornée d’épais barreaux. Cela faisait maintenant des heures qu’ils croupissaient là. De l’autre côté des barreaux, faiblement éclairé par la lumière de la lune, un corbeau les fixait longuement.

-Bien joué, Rincevent… fit Darius, alors que la jeune femme cessait ces insultes pour se mettre à pleurer en levant les bras au ciel.

-La ferme, Lestrange.

Darius haussa les épaules :

-Comme tu le souhaites. Mais ce n’est certainement pas avec ce genre d’attitude que l’on va trouver notre portoloin.

Il se leva, tâtonna et se mit à secouer les barreaux de leur prison un par un.

-Qu’est ce que tu fais ? marmonna Lulu.

-Je cherche à nous sortir d’ici. Soupira Darius. Plus vite on sera dehors, plus vite on pourra se mettre à fouiller ce château.

Lucrécya bondit sur ses jambes :

-Non, mais t’es malade ?! On va pas retourner de fond en comble ce château ! Ça va prendre des années ! Et le gros truc tout vert et plein de muscles, tu l’as oublié peut-être ? Il va nous réduire en bouillie !

-Et tu as une meilleure idée peut-être ?

Après un instant, Lucrécya, soupira :

-Non.

Elle saisit un des barreaux et le secoua mollement.

Après avoir échoué à trouver la moindre faiblesse dans les barreaux, les deux amis s’attaquèrent aux murs, avançant dans le noir, et touchant chaque pierre. Soudain Darius sursauta et poussa un cri.

-Qu’est-ce qu’il y a ?

Un rire étrange emplit les lieux et Darius et Lucrécya reculèrent, guère rassurés. Soudain la silhouette d’un vieillard émergea des ténèbres.

-Qui t’es toi ?! lança Lucrécya.

-Exactement ! Qui diable êtes-vous ? Depuis quand êtes vous ici ?!

Le vieillard, rigolard, s’avança d’un pas mal assuré. Sa barbe informe était enroulée de nombreuses fois autour de sa taille maigrelette. Il n’était vêtu que d’un pagne rapiécé.

-Depuis quand je suis ici ? Finit-il par dire en se grattant la tête. Depuis si longtemps que je sais même plus comment je m’appelle !

-Vous voulez dire que vous n’êtes jamais sorti de cette prison ?! s'étonna Darius.

-Non, et vous non plus, vous ne partirez pas d’ici ! Il n’y a aucune issue ! Aucune !

-Et vous ne pouviez pas nous le dire plus tôt, au lieu de nous laisser chercher depuis des heures ?! hurla Lucrécya.

-Non, c’était le seul divertissement que j’ai eu depuis des années ! Avec Suzie !

-Qui est Suzie ?

Le vieillard agita une chaussette trouée qu’il avait placée sur sa main. Il l’approcha de son oreille et se mit à glousser :

-Ha ha ! Sacré Suzie ! Tu es désopilante !

L’homme partit d’un grand éclat de rire et finit par tousser grassement sous l’œil à la fois inquiet et dégouté de ses camarades.

-Vous êtes un Alpha ? demanda Lucrécya, les yeux ronds.

L’homme plissa les yeux, fouillant dans sa mémoire. Finalement, il revint à la réalité :

-Un Alpha ? Non ! Je n’ai jamais pu en faire partie !

-Vous n’avez pas trouvé leur foutu portoloin non plus alors ? murmura Lulu.

Elle lança un regard inquiet à Darius, qui lui rendit bien. Ils n’avaient aucune peine à imaginer que dans une centaine d’années, ils seraient probablement eux aussi des vieillards croupissant dans cette même geôle. Un éclat de rire de l’homme qu’ils avaient en face d’eux les fit sursauter :

-Le portoloin, c’était facile ! s’exclama ce dernier. C’est le toucher qui est plus dur !

Les deux amis se figèrent :

-Quoi ? Vous savez où il est ? rugit Lucrécya.

-Pardi, il est juste derrière vous !

Darius et Lulu se retournèrent aussitôt.

-Mais il n’y a rien ! finit par dire Darius.

-Je suis peut-être un vieux fou qui parle à une chaussette, mais moi au moins je suis pas aveugle ! s’amusa le vieillard. Vous voyez pas le corbeau là ?

Darius et Lucrécya considérèrent le volatile qui, de l’autre côté de la cage les regardait fixement. Le volatile croassa. Darius le pointa d’un doigt tremblant :

-Le portoloin, c’est ce corbeau ? bafouilla-t-il.

-C’est pas le corbeau qui nous a suivi toute la semaine ? renchérit Lucrécya.

Darius ajouta d’une voix blanche :

-Tu veux dire qu’il était sous notre nez depuis tout ce temps ?

Les deux se jetèrent un coup d’œil et bondirent contre les barreaux de leur prison, tendant le bras comme ils le pouvaient.

-Ça ne sert à rien ! Vous ne pourrez jamais sortir d’ici ! s’esclaffa le vieillard derrière eux.

Il s’adossa au mur et les portes de leur prison s’ouvrirent, dans un grand bruit de fer rouillé.

-C’était là, ça ? lança l’homme, surpris.

L’espace d’un instant, tous se regardèrent… avant de se ruer hors de la geôle, droit sur le corbeau.

Le volatile s’envola prestement.

Les doigts de Lucrécya frôlèrent presque les plumes noirs du corbeau... qui s'envola à tire d'ailes, hors de portée de la jeune fille.

C'en fut trop pour cette dernière, qui explosa.

-VIENS ICI SALETÉ DE VOLATILE DE MALHEUR ! s'égosilla-t-elle, en courant comme une dératée après le point noir au loin. VIENS ICI QUE JE ME CARAPATE DE CE PAYS D'ARRIERÉS !

Darius, juste derrière elle, lui agrippa le bras, la forçant à s'arrêter :

-Pas sans moi, Rincevent, c'est à deux que nous nous carapaterons !

-'videmment, c'est c'que j'voulais dire, marmonna la jeune fille d'un ton qui disait clairement le contraire.

Elle grogna, et tapa du pied sur le sol boueux.

-Comment tu veux le retrouver maintenant ?! grommela-t-elle.

Darius s'assit sur une grosse souche vermoulue, contre la façade du château dont ils venaient de s'échapper.

-D'autant plus que deux apprentis Alpha Alpha Alpha ont déjà échoués, fit-il d'une voix blanche.

-Si ça se trouve il y en a eu plus et ils ont pas survécus, lança Lulu, désespérée, en s'avachissant aux côtés de son compagnon d'infortune.

Un long silence éloquent suivit cette remarque.

Un croassement sortit les deux amis de la torpeur : le volatile, juste en face d'eux, les observait avec intérêt.

-Rincevent ! Il est là !

Le sang de Lucrécya ne fit qu'un tour. Elle ramassa un bout de bois, et sauta sur le corbeau :

-VIENS LÀ, SALETÉ DE RAT À PLUMES !

L'oiseau aux yeux rouges croassa vers elle, avant de s'envoler une énième fois, disparaissant dans la forêt enténébrée. Lulu jura, jeta rageusement le bâton, et donna un coup de pied dans une motte de terre histoire de se défouler.

Lestrange la fusilla de ses yeux bleus glacials :

-C'est ça Rincevent, crie lui après, histoire de le faire fuir ! Très bonne stratégie ! siffla-t-il.

-Si t'as une meilleure idée, je t'en prie ! cracha la furie, en shootant dans un caillou.

-En tout cas, moi je ne saute pas sur tout ce qui bouge avec un gourdin ! Tu pensais vraiment pouvoir venir à bout d'Igor, ou attraper un oiseau de cette façon ?

-Ça aurait pu marcher !

-N'importe quoi ! Bien sûr que non !

-Si !

-Non !

-Siii !

-Non !

-Allez viens Suzie, on va leur montrer à ses p'tits jeunes qu'on a encore les gambettes d'antan ! fit une voix chevrotante derrière eux.

Surpris, Darius et Lulu tournèrent la tête : ils virent le vieux fou à la chaussette sale les dépasser en claudiquant comme seuls les personnes âgés savent le faire.
Les deux se jetèrent un regard étonné... puis s'élancèrent à sa poursuite :

-HEY ATTENDS GRAND-PÈRE !

-NE NOUS VOLE PAS NOTRE PORTOLOIN, C'EST LE NÔTRE !

Au bout de quelques mètres de course effrénée, nos deux amis stoppèrent net.
Un étrange spectacle s'offrait à eux : le vieux prisonnier maigrelet sautait sur place, en bas d'un grand conifère. Il ne s'élevait que de quelques centimètres à chaque fois, mais essayait tout de même d'atteindre de sa main tremblante, cinq mètres plus haut, la branche sur laquelle s'était nichée le volatile.

-Bon sang de bougre de bois, je vais t'avoir ! s'exclama-t-il avant de sauter à nouveau.

Lulu se tourna vers le blondinet :

-Bon, la bonne nouvelle, c'est qu'il a aucune chance d'y arriver, soupira-t-elle. La mauvaise, c'est que nous aussi, on va avoir du mal à attraper un portoloin avec des ailes, sans baguette ni balai !

Darius ouvrit grand ses yeux, comme pris d'une soudaine illumination.

-J'AI UNE IDEE ! Je vais utiliser ma magie sans baguette !

Lucrécya lui lança un regard noir :

-Encore ?! Je te rappelle que la dernière fois que tu as essayé, on a failli finir en torches humaines !

-Je vais faire un accio ! Cela ne risque rien, un accio ! Personne ne peut prendre feu !

L'étudiante se gratta la tête :

-Mouais, j'te l'accorde.

Fier de lui, Darius fit craquer lentement ses mains. Puis, dans un geste qu'il voulait dramatique, les tendit en avant :

-ACCIO CORBEAU !

Le blondinet garda quelques secondes la pose. Puis, comme il ne se passait rien, il se redressa, déçu.

Lucrécya, elle, fronça les sourcils. Le ciel déjà sombre semblait s'être encore obscurci, et le vent s'était étrangement levé. Cela n'augurait rien de bon.

-Tiens... entends-tu toi aussi ce drôle de bruit ? lâcha le blondinet.

Effectivement, une sorte de bourdonnement sourd vibrait dans l'air. On aurait dit une sorte de frottement, mille fois répété et amplifié...

-Oui... J'me demande ce que.... OH CRENOM D'UN BALAI MAIS QU'EST-CE QUE C'EST QUE ÇA ?!

-COURS, RINCEVENT, COUUURS !

-Ah bravo, Lestrange, grommela Lucrécya. Bravo. Super, le plan. J'm'en souviendrai, de c'ui-là !

Son visage était couvert de griffures à vif, et d'innombrables plumes noires étaient coincées dans ses cheveux emmêlés.

-Quelque part... ça a marché ? fit le blondinet d'une voix angélique.

Il gratta son front, que constellaient de nombreuses marques rouges en forme de pattes d'oiseau.

-Ça a marché ?!! Attirer tous les corbeaux et corneilles de la forêt sur nous, tu trouves que ça a marché ?!

-Eh bien, disons que techniquement, il y avait notre portoloin dans le lot, alors...

-Et le pire, continuait la jeune fille sans l'écouter, c'est que ça les a bien énervé pour le coup ! Trois mille oiseaux en furie contre nous ! Merci Lestrange !

Comme pour ponctuer ses dires, une vingtième corneille vint se cogner contre l'unique fenêtre de cette petite cabane dans laquelle ils avaient trouvé refuge, et qui était encore plus minuscule que leur ancien cabanon.

-Tu vois toujours le mauvais côté des choses, Rincevent !

-AH CA C'EST BIEN VRAI ! fit une voix chevrotante mais néanmoins enjouée.

Le vieillard à la longue barbe serra les deux jeunes sorciers dans ses bras maigrelets :

-Ah ça, le Vieux Stany est bien content de s'être fait de nouveaux amis, n'est-ce pas Suzy ?

Il colla son oreille contre l'horrible chaussette sale qu'il portait sur sa main, puis éclata d'un rire suraigu qui laissait voir ses deux uniques dents jaunes.

-Ah Suzy ! C'est comme si nos âmes faisaient une communion spirituelle !

-Et rappelle-moi ce que le vieux fou en pagne fait là ? siffla Lulu, méprisante.

-Eh bien, il a au moins deux mille ans, il ne peut rien nous faire ! De plus... il me fait penser à mon arrière-grand-pépé... avoua Darius, penaud. Nous ne pouvions pas le laisser dehors, avec tous ces oiseaux devenus fous !

Un énième corbeau s'éclata contre la vitre de la cabane.
Lucrécya soupira, plus dépitée que jamais.