Lucréya s'engagea à toute allure dans l'Impasse du Bizut Pourfendu, traînant dans la boue pailletée sa robe à froufrous. Curie la rattrapa en quelques longues enjambées, et s'insurgea intérieurement : les Alpha étaient cruels d'infliger une telle tenue à l'intrépide batteuse. D'autant plus que ces habits se prêtaient mal à la circonstance. Archiwald, bien connu de Curie -qui avait réalisé plusieurs enquêtes sur les fortunes mal acquises des grandes familles du Monde magique-, connaissait mal Lulu : ce n'étaient pas de vulgaires dentelles qui allaient atténuer la fougue de l'impétueuse brunette -désormais blondinette- !

De nouveau prise de pitié pour son amie, l'Insu, d'un coup de baguette, allégea le tissu soyeux et pompeux qui composait la robe de Lustucru, faisant en sorte que la légère modification n'interpelle personne. La batteuse, concentrée sur son but, n'avait rien remarqué, mais dès lors, elles progressèrent bien plus rapidement.

Elles eurent tôt fait d'atteindre la Cabane délabré des Oméga. Curie s'engouffra la première dans ce lieu on ne peut plus miteux et tint la porte (qui menaçait de s'effondrer) à Lucréya. Cette dernière ne sembla pas incommodée par l'odeur de moisi émanant du parquet, ni par la présence de plantes rabougries le long des murs, ce qui soulagea l’Écossaise :

« C'est par ici, dit-elle à son amie en lui indiquant une porte au bout du couloir de droite, une chance qu'ils soient tous au stade, ils auraient encombré le passage.. »

Lulu la regarda bizarrement.

« Ils aiment bien cet endroit, se justifia Curie, il y a moins de courants d'air que dans le reste de la Cabane ! »

Toutes deux se dirigèrent vers la porte la mieux préservée de tout le couloir. Curie avait jeté quelques sortilèges basiques à sa chambre dans l'espoir de la rendre plus accueillante, mais ces améliorations s'apparentaient plus à du bricolage qu'à de véritables réparations dignes de ce nom. Elle déplaça son "lit" (une banquette à l'aspect peu confortable) d'un bon mètre et extirpa d'un amas de poussière le livre contenant l'antidote. Ce dernière était renversé sur la tranche et légèrement corné, ce que Lucréya ne manqua pas de remarquer :

« Ben dis donc.. je ne lui confierai pas mes affaires, à ce Rhum ! »

L'Insu rigola franchement. Lulu ajouta :

« Rassure-moi, l'antidote n'est pas encore prêt ? »

Curie tourna les pages du volume I d'Antidotes plein de Paradoxes pour Sorts peu Orthodoxes, et s'arrêta devant la représentation du chaudron. Agitant sa baguette, elle prononça distinctement « Imago fit realitatem » et la marmite bouillonnante prit vie devant elles. Elles se penchèrent sur la mixture : celle-ci continuait à changer de couleur.

« Concrètement.. qu'est ce que ça signifie ? demanda l'Alpha, peu avertie au sujet de l'antidote.

-Ça signifie qu'on a encore un peu de temps devant nous. »

L'Insu était soulagée. Elle ramena le chaudron à l'état de paisible image et rangea précieusement l'ouvrage dans sa sacoche en peau de moke. C'était son bien le plus précieux, et là-dedans, l'antidote était à peu près en sécurité : personne d'autre qu'elle ne pouvait l'atteindre.

Lucréya sonda le regard de Curie et lui présenta sa paume :

« On y va ? »

L'Insuffisante ébouriffée frappa avec entrain dans la main de son amie.

« On y va ! »

Et c'est au pas de course que la géante et la lilipucienne traversèrent la Cabane des Insuffisants en sens inverse, slalomant entre les meubles brisées, poteries ébréchées, cadavres de doxys et autres horreurs qui se présentaient à elles. L'une parée de fripes mitées, l'autre d'une robe au jupon bien trop épais, elles regagnèrent le Stade et la barrière invisible, leurs amulettes nauséabondes solidement attachées autour du cou.

Lucréya et Curie reviennent ICI !