Cela faisait de longues minutes que Myosotis, yeux fermés, était plaquée contre le mur orange du Grand Potiron, non loin de l'entrée de l'étrange maisonnette. Ses main et son oreille étaient collées tout contre le QG, comme si la jeune femme voulait enlacer de toutes ses forces le bâtiment ensorcelé.

Titus se gratta les cheveux, et son pied commença à taper par terre d'impatience... mais son amie ne moufta pas. Les yeux fermés, l'air sérieux, elle paraissait plus concentrée que jamais. Pas un seul de ses muscles ne bougeaient. Par contre, ses longs cheveux verts, dans son dos, serpentaient et oscillaient, comme s'ils avaient leur propre vie.

D'un coup, elle ouvrit ses yeux en grand, décolla son oreille et murmura :

- Wouaaaah. Tu as entendu ça ? demanda-t-elle doucement.

- Ce bruit de gargouillis, là ? C'est mon bide, je commence à avoir la dalle.

- Non, la voix du grand cucurbitacée ! répondit Myo, étrangement vaporeuse.

- Ah... non, avoua l'américain.

Mais la fille aux cheveux verts n'avait pas attendu la réponse de Titus, et s'était à nouveau collée contre l'épaisse peau orangée de la maison des Gammas.

Postée sur le sommet de la tête de sa maîtresse, Bibi se tourna vers le cow-boy et leva ses minuscules bras en signe d’incompréhension :

- T'es pas le seul à rien capter, fermier. Mais t'inquiète, elle va bientôt se réveiller de sa transe végétale.

- Sa transe végétale ? Parce que ça lui arrive souvent, ces conneries ? s'étonna Titus, qui ne s'habituait toujours pas de faire la conversation à une petite poupée de chiffons.

- Oooh oui. Tu l'as jamais vu s'occuper de ses plants de ganja ? C'est encore pire que là ! Elle peut rester trois heures à leur parler sans prononcer un mot, c'est d'un ennui !

- Bordel, grogna l'étudiant, trois heures ?! Heureusement y' a aucun gougnafier dans les parages pour la voir faire un câlin à notre QG...

Bibi haussa les épaules, et Titus attendit que Myo finisse son... truc, tandis que son pied tapait de plus en plus nerveusement sur le sol.

Au bout d'un moment qui sembla interminable au cow-boy, la voix douce de la jeune femme à la chevelure verte s'éleva :

- Il dit qu'il a effectivement vu, ou senti un monstre...

- Et pourquoi il l'a laissé passer, bordel ?! s'énerva l'américain. J'croyais qu'il recrachait tout ce qui était trop agressif pour...

- Il dit... Monstre sur le palier, le coupa Myo. Humain à l'intérieur.

Titus cligna des yeux :

- ...quoi ?

-Monstre sur le palier, humain à l'intérieur. Ensuite, il a senti... il a senti à nouveau le monstre à l'intérieur, mais... pas longtemps, fit Myo, un peu hésitante, comme si elle traduisait au fur et à mesure. Quelques secondes. Pas assez pour le régurgiter. Et ensuite... que des humains. Il n'a pas senti le monstre sortir, uniquement des humains.

- Bordel, ça veut dire que...

Les yeux de Titus s'écarquillèrent tandis qu'il réalisait ce qu'impliquait les révélations du Potiron.

Myosotis, elle, avait enfin lâché le cucurbitacée, et repeignait avec ses doigts ses cheveux indisciplinés. Titus lui lança un regard admiratif :

- Myo, t'as un putain de don avec les plantes, tu sais, t'aurais du faire Botanique !

La jeune fille lança un regard blasé à son confrère Gamma.

Accroupis devant la cheminée du premier étage du Potiron, Myo et Titus attendaient le signal, un mug de café noir a la main. les braises faiblardes qui luisaient dans l'âtre éclairant tout juste leurs visages, les deux Gammas ayant tiré les rideaux des fenêtres.

-Bon, ça fait un petit moment qu'on attend... fit Myo qui commençait sérieusement a s'ennuyer.

-Ouaip...marmonna le cowboy.

-On fait quoi s'il vient pas ?

-Crois-moi, il va venir.

La sorcière chlorophylle tourna de nouveau la tête vers la cheminée, soufflant longuement.

Suite aux révélations du Vénérable Cucurbitacée, Myo et Titus avaient fait un long brainstorming, histoire de rassembler un peu toutes les pistes qu’ils avaient pu obtenir jusque là. Autant dire qu’ils ne tenaient pas grand-chose pour le moment. Cependant les dernières infos qu’ils avaient réussies à obtenir concernant certaines caractéristiques de la Grande Bestiole leur avaient redonné courage : au moins ils avaient une nouvelle base sur laquelle enquêter !

Aussi avaient-ils foncé dans une des pièces à l'étage du Potiron, pour contacter son parrain hopi et donner un bon coup de collier a leur enquête. Cependant il n'était pas facile de joindre un sorcier comme lui aussi rapidement : ne pouvant espérer qu’un hibou puisse parcourir la moitié de la planète et revenir à Londres dans la même journée, et sachant pertinemment que le mage indien ne possédait pas de miroir double-sens, Titus s’était tourné vers la dernière solution possible, à savoir la poudre de cheminette. Il en avait jeté une poignée dans l’âtre, en prononçant distinctement le nom de la tribu et l’emplacement du tipi cérémoniel du sorcier, et tout deux avaient passé leurs têtes dans les flammes vertes.

Ces dernières s’étaient retrouvées, après un nauséeux voyage, devant un mur de fumée épais comme un brouillard écossais, des formes indistinctes les entourant de toute part. Une voix s’était alors élevée : « BONJOUR, VOUS ÊTES BIEN SUR LE RÉSEAU MAGIQUE DU SORCIER EN CHEF DE LA TRIBU HOPI HOETVELA. JE NE SUIS PAS LA POUR LE MOMENT, MAIS LAISSEZ-MOI UN MESSAGE APRÈS LE RITUEL SONORE ET JE VOUS RECONTACTERAI AU PLUS TÔT. MERCI. »
Titus avait soupiré, exaspéré, et demandé à son parrain de venir le « voir » au plus vite au siège de sa fraternité. Depuis, les deux Gammas attendaient, entretenant inlassablement les braises.

Le déjeuner était passé, puis le début de l’après-midi, mais toujours aucun signe du sorcier…

-Tu crois qu’on va devoir attendre encore longtemps ? fit Myo en étouffant un énième bâillement.

-Il est pas très ponctuel, ton sorcier peau-rouge, cowboy… pestait la poupée vaudou juchée sur l’épaule de la Gamma

-SHHHH ! leur intima Titus en levant un doigt, le regard fixé sur la cheminée.

Une volute de fumée verte s’était imperceptiblement élevée du foyer. Le ricain se tourna vers Myo et sa comparse de chiffon :

-Ça y est, j’crois que c’est-

Une immense flamme vert émeraude explosa littéralement là où ne subsistait quelques secondes auparavant qu’un vieux morceau de bois incandescent, faisant s’effondrer en arrière les trois enquêteurs. Dans la petite fournaise devant eux apparut en tournoyant une tête aux cheveux noirs tressés, un chapelet de plumes piqué au sommet. Lorsque celle-ci se stabilisa, ils virent un visage bienveillant mais aux traits durs taillés à la serpe, le teint buriné par le soleil.

-J’ai eu ton message un peu tard, pardonne-moi. Tu voulais me parler, fils ?

La voix était profonde et apaisante comme une berceuse. Myo s’inclina avec respect, aussitôt imitée par Madame Bibi. Le sorcier Hopi leur répondit par un sourire chaleureux alors que Titus s’avançait :

-Salut...

-Hmm. Cela faisait longtemps, fils, fit le sorcier d'un ton égal.

-Ouais...

-C'est apaisant chez toi, dit-il en avançant un peu la tête hors de la cheminée, regardant autour de lui. Il y a de bonnes vibrations.

-Ouais, c'est ça.

Le ton du cowboy avait légèrement monté, et Myosotis commençait à devenir nerveuse, sentant que l'ambiance se refroidissait.

-J'ai entendu parler de ta journée parentale, poursuivit le vieil indien. Et du grabuge que ton grand-père a encore fait. Tout est rentré dans l'ordre, fils ?

-M'APPELLE PAS FILS !!!

Myo et Bibi sursautèrent. Titus, dont les tempes battaient dangereusement, croisa les bras :

-Tu as renoncé à ce droit il y longtemps maintenant !

Ours-Qui-Du-Haut-De-La-Montagne-Voit-Très-Loin s'était tu. Son visage était empreint de tristesse.

-C'est vrai. Je ne voulais pas t'offenser, Titus. Pardonne-moi.

La jeune fille chlorophylle choisit ce moment pour s'éclaircir la gorge :

-Bon... Ben c'est super tout ça, hein ? Tu me laisse un peu parler, cowboy ?

Sans attendre la réponse du Gamma, Myo se plaça devant lui.

-On s'excuse de vous déranger, Grand Sach- enfin je veux dire, Monsieur. Mais on a un très grave problème ici à la WoW et vous seul pouvez nous aider !

Voyant que le sorcier restait muet, elle enchaina, mal à l'aise :

-Je suis-je veux dire ON est poursuivis par une espèce de monstre, une créature magique qui se terre dans l'Université, on sait pas trop où...

La sorcière aux cheveux verts déglutit, terrifiée par les souvenirs des multiples attaques.

-Elle est grande et reptilienne. Elle a de grande griffes venimeuses et des dents tranchantes, elle parle... et elle peut prendre forme humaine à volonté.

Les yeux de l'indien se plissèrent à l'extrême, sa mâchoire se crispa.

-Wendigo.

-De quoi ?! fit Titus, sur le qui-vive.

-Wendi-quoi ? firent Myo et Madame Bibi en même temps.

-Vous m'avez bien entendu.

Le cowboy porta une main tremblante à son holster.

-C'est exact, petit. La même créature qui a fourni le poil se trouvant dans ta baguette.

-Ce... cette grande saloperie... c'est un wendigo ? Un esprit maudit qui prend le contrôle d'un être humain, l'obligeant à se transformer en monstre ?

Le sorcier sembla réfléchir :

-Mmmh. Pas exactement.

Fascinées, Myo et Bibi se rapprochèrent des flammes vertes qui ronronnaient dans l'âtre.

-Ta créature est de toute évidence un change-forme. Le wendigo, bien que se rapprochant du loup-garou et possédant une forme humaine originelle, peut se métamorphoser à volonté. Contrairement au lupin, dont les transformations obéissent à un cycle. Mais la forme que tu m'as décrite ne correspond à celle d'aucun métamorphe que je connaisse.

Titus médita un instant sur ces paroles : il se rappelait qu'il n'avait pas pu hypnotiser le monstre lors de la dernière attaque contre Myo.

-Il ne s'agit pas d'une maladie comme pour le loup-garou, murmura-t-il. C'est sa forme véritable. Et ça n'est pas un animal... C'est quelque chose de différent, une race à part entière, comme les centaures ou les sirènes.
Il leva les yeux vers son parrain :

-Mais alors... qu'est-ce qu'on peut faire pour la traquer, et s'en débarrasser ?

Le vieil hopi prit un ton qu'il voulut rassurant.

-Il possède indéniablement certaines similitudes avec le wendigo. Ce dernier pourrait en être le plus proche parent que l'on connaisse. Et je connais un rituel permettant de traquer un wendigo jusque dans sa tanière. Je peux vous en donner la formule et les ingrédients.

-Merci ! s'exclama Myo, soulagée. Merci beaucoup, c'est-

-Cependant, la coupa le sorcier, ce rituel n'étant pas spécifiquement élaboré pour cette créature, vous ne pourrez être totalement sûrs qu'il vous conduira jusqu'à elle. Il se pourrait qu'il vous mène à sa tanière, sans pour autant qu'elle s'y trouve.

Les deux Gammas se regardèrent d'un air interdit. Ours-Qui-Du-Haut-De-La-Montagne-Voit-Très-Loin sembla se pencher vers eux, les flammes vertes lui léchant le visage :

-Ne fais rien d'inconsidéré, Titus. S'il devait vous arriver quelque chose, vous seriez seuls.

Alors que la jeune fille chlorophylle et sa poupée, nerveuses, observaient l'échange entre les deux sorciers, le ricain planta un regard dur dans les yeux de son parrain :

-Ne me dis pas ce que je dois faire. Je sais très bien me débrouiller, merci !

Il attrapa sur une petite table à leur côté un carnet vieilli et une plume rapiécée, et sans un mot il attendit que le sorcier indien lui énonce les ingrédients nécessaires au rituel.

J't'en foutrait des mises en garde, moi... songeait Titus, hors de lui. Quelque chose me dit que c'est pas à la supérette du coin qu'on pourra trouver ce qu'il nous faut. Va falloir payer une petite visite au vieux fou de l'épicerie asiatique. C'est ma veine, j'pige jamais un broc de ce qu'il raconte...

:arrow: Myo & Titus vont là !