Les rues du Chemin de Traverse étaient incroyablement bondées, malgré l'heure. Une foule hétéroclite de sorciers enturbannés et autres sorcières en chapeaux pointus se pressaient avidement contre les nombreuses boutiques de l'avenue marchande, pour faire leurs derniers achats de Noël.

Malicia et Lucrécya, elles, se baladaient en regardant tout autour d'elles, des étoiles plein les yeux. Tout était clinquant et clignotant, coloré, et recouvert de paillettes. Une bonne odeur de pain d'épices et d'épines de sapin flottait dans l'air.

-J'adore Noël ! s'extasia Mali d'une voix encore plus suraiguë qu'à l'accoutumée. J'adore j'adore j'adore ! La musique, les gâteaux, l'odeur, les gâteaux, la décoration des boutiques, les gâteaux, les cadeaux, les gâteaux... Tout devient encore plus magique à cette période de l'année !

Elle passa en salivant devant la vitrine d'un pâtissorcier, où flottaient de nombreuses bûches, recouvertes de décors magnifiques en sucre, qui s'animaient et bougeaient.

Lucrécya hocha la tête, en louchant sur une grosse guirlande de Noël qui chantait faux au dessus de sa tête.

-Ouaip ! Et j'me boirais bien un bon lait de poule de circonstance ! Cet idiot de Marcus en a acheté, mais ils sont tous de la marque Dr Magnus Magouille, alors j'ai pas confiance.

-T'as bien raison ! acquiesça la métisse, en ré-arrangeant son écharpe rouge autour de son cou. N'avale rien qui provient de la boutique de cet escroc : c'est bon pour te chopper une intoxication alimentaire ou une maladie magique bizarre encore inconnue ! Tiens, au fait, il est quelle heure ?

La batteuse sortit sa sablomontre à gousset :

-Bah, on a le temps ! Il est que onze heures ! Et le mec de la boutique Tissard & Brodette m'a dit qu'il nous réservait les robes jusqu'à 18h30.

Mali trépignait de joie :

-Hiiiii ! Je suis si contente ! Cette boutique est hyper réputée... et hyper chère ! C'est un miracle qu'ils nous laissent louer leurs robes pour la soirée ! Et en plus, celle que j'ai choisi est MAGNIFIQUE !

-Et la mienne est top sexy, et en plus elle a un sortilège grossissant ! ricana l'AAA, les poings posés sur les hanches.

Sa meilleure amie la considéra avec étonnement :

-T'as envie d'avoir l'air plus grosse ? Mais je croyais que tu voulais, et je te cite : « qu'on ait l'air de teu-pu pour faire rager tous les mecs » ?

-Ah ah, mais t'inquiète : le sortilège grossissant a été lancé à un endroit stratégique !

Lulu ricana en tapotant sa minuscule poitrine, qui paraissait encore plus petite que d'habitude sous l'épaisse doudoune que la batteuse portait pour résister au froid hivernal.

Malicia secoua la tête en souriant, puis les deux reprirent leur petite balade.

-N'empêche, c'est bien d'avoir le temps, badinait la métisse. Comme ça on peut faire du lèche-vitrines !

-Et on pourra passer à la boutique de Quidditch ! s'enthousiasma la petite batteuse.

-Et on pourra passer chez le glacier Fortarôme !

-Et on aura même le temps d'acheter le cadeau obligatoire qu'on doit offrir à Magouille pendant le bal.

Malicia grimaça :

-Argh, j'avais oublié ! J'ai aucune envie d'offrir quoique ce soit à ce sale gnome vicieux !

-T'inquiète ! On va faire toutes les boutiques : on finira bien par lui trouver un truc pas cher et tout pourri !

-Bonne idée !

Les deux passèrent devant un grand bâtiment, où on pouvait lire en grandes lettres rouges : « CINEMAGIC - Picturine Theater ».

Lucrécya regarda avec curiosité la grande affiche placardée contre le mur. On y voyait un jeune homme étrangement pâle, torse nu, qui roulait ses muscles en faisant des clins d'oeil aux passants. La petite batteuse stoppa devant, et lança en reniflant :

-Mmh... t'as vu ? Ils passent Twoilette en ce moment... Tu sais, la picturine avec Albert Tartinsson et Kristine Stouarte...

-C'est cette histoire d'amour bidon entre une sorcière super crédule et un pseudo-vampire au teint leucémique qui se balade constamment torse nu ? fit Mali.

-Ouais, c'est ça ! affirma Lucrécya. Même que la greluche hésite entre lui et un loup-garou bidon qui se balade toujours torse nu !

Malicia jeta un coup d'œil à l'affiche, et hocha la tête, les joues légèrement rosies :

-Faudrait me payer pour aller voir ce genre de picturines !

-Ah ben moi aussi ! C'est pas du tout mon genre ! affirma Lulu, sans quitter l'affiche des yeux. PAS DU TOUT !

-C'est pas comme si c'était intéressant de voir Albert Tartinsson torse nu pendant une heure et demi...

-Ouais, on s'en fout, il est moche en plus...

-Ouaip.

-Tout à fait.

-Ouaip ouaip ouaip.

Le silence retomba entre les deux étudiantes, qui ne pouvaient détacher les yeux de la photo gigantesque de l'acteur qui roulait des mécaniques devant elles.

-D'un autre côté... on a du temps à perdre, avant le bal... lança Mali, l'air de rien.

-Ouais, et puis tu me connais : j'aime pas critiquer une picturine sans preuves, renchérit Lulu, innocemment.

-Ah oui, je reconnais bien là ton honnêteté, mentit la métisse.

-Alors peut-être qu'on devrait la voir, tu sais, pour se marrer, tout ça...

-Oui d'accord allons-y !

Les deux filles entrèrent en gloussant dans le Cinémagic, les joues rougies, le regard brillant. Mali jeta un dernier regard à l'affiche :

-N'empêche... Twoilette : Constipation. Concentration. Expulsion. Évacuation... Ils auraient pu trouver plus court comme titre !

La foule était devenue plus rare sur le Chemin de Traverse quand Lucrécya et Malicia émergèrent du Cinemagic, le pas chancelant. Les deux jeunes femmes avaient le sourire aux lèvres et les yeux grands ouverts :

-Waw... fit la première de sa voix éraillée, visiblement ravie.

-Rhoooo.... fit la deuxième de sa voix aigüe, l'air tout aussi heureuse.

-C'était...

-Ouais.... c'était...

Lucrécya tenta de se donner une contenance et mit ses poings sur les hanches :

-Ah ça ! C'était la picturine la plus naze du siècle ! s'écria-t-elle, afin que tous dans la rue l'entendent, avant de ricaner de façon peu convaincante. Ha ha... haha.

Malicia acquiesça aussitôt :

-Carrément ! C'était nazissime ! renchérit-elle en rigolant nerveusement et en parlant encore plus fort. J'en reviens pas qu'on soit parties voir ça !  Ha ha... ah.

-Ouais ! renchérit sa meilleure amie. Faut vraiment être une midinette pour aimer ce naze d'Albert Tartinsson ! Surtout avec cette nouvelle coupe de cheveux super naze !  

-Et ce nouveau tatouage ! Complètement naze !

-Et ces yeux complètement nazes...

-Et ce torse totalement naze...

-Et cette voix...

-Et ces muscles...

Les deux filles soupirèrent d'aise... et se reprirent bien vite :

-Ouais, c'était absolument naze ! dirent-elles en chœur.

Elles se mirent à marcher, non sans jeter des petits regards enamourés à l'affiche de "Twoilettes" qui leur disait au-revoir à grands coups de clins d'oeil sulfureux.

-Et qui aurait cru qu'en fait, c'était une quadrilogie ! s'exclama Lucrécya.

-C'est vrai, répondit Malicia. Qui aurait cru que chacun de ces films durait quasiment deux heures ! Du vrai temps per...

Elle stoppa.

-OHMONDIEU !!!

Pour la première fois depuis sa sortie du Théâtre à Picturines, Malicia remarqua le Chemin de Traverse. Il était quasiment vide. Et c'était bien normal : il faisait nuit noire.

-NOS ROBES ! hurla-t-elle.

Lucrécya ouvrit des yeux affolés :

-CRÉNOM D'UN BALAI !!!

Comme un seul homme, les deux filles se précipitèrent dans la rue et foncèrent droit vers chez Tissard & Brodette. Une cinquantenaire un peu trop maquillée et portant une coupe au carré d'où ne s'échappait pas un seul cheveu rebelle était en train de fermer la boutique, un bel établissement blanc aux fenêtres bordées d'or.

-MADAME ! MADAME !

Les deux amies stoppèrent devant la vendeuse.

-Moui ? lâcha cette dernière, le regard suspicieux.

-On avait réservé deux robes ! fit Lulu.

-Oui...Deux... robes...super...jolies !!! renchérit Mali, toute essoufflée. Pour... dix-huit heures... trente !

-Il est dix neuf heures... fit remarquer Miss Brodette sur un ton peu amène.

-C'est que trente minutes de plus ! s'écria l'alpha.

-Oui... trente toutes petites minutes... de plus ! Dites-nous que nos robes sont toujours là ! s'exclama la zeta.

-Siouplé ! clamèrent les deux jeunes femmes avec un grand sourire stressé.

La piètre tentative ne sembla pas convaincre la vendeuse qui annonça, aimable comme une porte de prison :

-Toutes les robes ont été louées.

Lucrécya tomba à ses pieds :

-Nooon ! Pas ma robe "Émerveillement Emeraude" ! Pas ce soir !

Malicia quant à elle semblait sur le point de pleurer, les lèvres tremblantes, elle tira doucement la manche de Miss Brodette :

-A pu robe... a pu "Ravissement Rubis" ?

- Désolée, mes chères, mais c'est la règle de la maison : vos robes vous étaient réservées jusqu'à 18h30, pas une minute de plus, pas une minute de moins...  Deux étudiantes les ont prises. Une grande châtain au visage porcin et une africaine un peu idiote qui n'arrêtait pas de dire "Ahlala". Vous pouvez peut-être les convaincre de...

La description sembla affoler encore plus Lucrécya et Malicia :

-Naooon !

-La Mode est un monde impitoyable, Mesdemoiselles. répliqua fermement la vendeuse.

-Mais il vous reste rien ? demanda Malicia.

-Le magasin est fermé. s'entendit-elle répondre.

-Non ! regardez ! Le store est encore ouvert ! s'écria Lucrécya.

-J'allais finir de le baisser quand vous êtes arr... commença la mégère avant de crier, scandalisée : HEY ! Mais que faites-vous ! Arrêtez !

L'alpha venait de passer la tête la première dans l'ouverture.

-Haha ! Vous vous y attendiez pas hein ?

Elle essaya de se faufiler à l'intérieur en gesticulant comme un diable. Finalement, elle stoppa :

-Euh... suis coincée. A l'aide ?

Miss Brodette leva les yeux au ciel :

-Doux Jésus... soupira-t-elle.

Elle leva le store :

-Vous avez deux minutes.

-Merci ! Merci merci merci ! glapit Malicia.

Elle rejoignit Lucrécya qui était déjà rentrée à l'intérieur et stoppa net.

-Euh... c'est tout ? fit-elle, les yeux ronds.

Miss Brodette rejoignit les deux amies qui s'étaient postées devant le seul rayonnage qui contenait encore des robes.

-C'est quoi ça ? Un torchon ? demanda Lucrécya en tirant une manche faite de velours râpé et au manchon fait de dentelle de grand-mère.

-Une robe. répondit la vendeuse.

-Sérieux ?! s'interrogea la batteuse en grimaçant.

Miss Brodette tira deux horreurs qui pendouillaient sur des cintres :

-Vous avez le choix entre : "Saumure Saumon" et "Clapier Caca d'oie".

Mali et Lulu considérèrent les robes avec dégoût. Finalement, elles se jetèrent un regard plein d'appréhension.

Lucrécya et Malicia descendaient la grande avenue du Chemin de Traverse, moroses.

-C'est une catastrophe... gémit la métisse.

-Je sais ! Et ça m'énerve ! siffla la brunette.

-Dire que c'est Pansy et Amalia qui vont y aller avec les belles robes qu'on avait repérées depuis des semaines !

-Elles vont nous le payer, j'te le promets !

-Tout le monde va se moquer de nous...

-Z'ONT PAS INTERET ! Sinon ils vont tâter de Séraphine ! grogna Lulu, en posant une main sur la batte qu'elle portait toujours à sa ceinture.

Malicia soupira, le cœur lourd, et le silence retomba.
Il fut vite brisé par l'AAA qui ouvrit de grands yeux paniqués :

-Oh crénom d'un balai, on a complètement zappé !

-Quoi donc ?

-Le foutu cadeau de Magouille !

Mali geignit.

-Je veux pas lui offrir quoique ce soit ! Il le mérite pas !

-Ouais, j'sais bien, mais si on a rien il nous laissera pas assister au bal.

La Zeta jeta un coup d’œil dépité à la poche en papier qu'elle serrait dans la main droite, et qui était estampillée T&B.

-...je commence à me demander si c'est si grave que ça.... grommela-t-elle.

-Ah si ! J'ai envie d'aller m'amuser, moi ! J'veux boire et danser ! Et pas toute seule ! Et comme Marcus y va avec la folle au Lethifold, tu dois venir avec moi !

Malicia considéra la chose quelques secondes :

-Moui... fit-elle, peu convaincue.

Lucrécya se retroussa les manches :

-Bon, il doit bien y avoir une saloperie de boutique encore ouverte ! On va dans la première qu'on trouve, on prends deux bricoles au hasard et on se tire !

Elle s'avança avec aplomb vers l'animalerie, mais la vendeuse la vit à travers la vitre de la boutique, regarda sévèrement sa montre, puis agita sa baguette avec dextérité. Le rideau de fer devant la porte tomba brutalement, juste devant le nez de la batteuse.

Cette dernière grogna et tourna la tête, juste à temps pour voir toutes les boutiques alentours s'emprisonner derrière de lourdes portes de métal massif, en parfaite synchronisation.

-RHAAAA !

Malicia plissa les yeux.

-Il nous faut un plan B.

-J'ai une idée, mais j'ai besoin d'un gros pavé, d'un sortilège Repulso et de beaucoup de poudre de cheminette ! Par contre, faudra courir très très vite vers une cheminée.

La métisse secoua la tête en regardant son amie avec dépit :

-Lustucru, on va pas braquer une boutique juste pour Magouille !

-Rhaaa tu veux jamais rien faire de marrant !

La batteuse se renfrogna et croisa les bras, bougonne. La Zeta, elle, s'assit sur un banc, au dessus duquel lévitait une bougie, et commença à fouiller son sac à mains :

-Peut-être que j'ai quelque chose là-dedans qui fera l'affaire. Voyons voyons... une boîte de tampons... Non... Des plumes de rechanges... Non... Un livre de Droit Constitutionnel Sorcier.... Définitivement non... Des élastiques pour cheveux.... Non... Des biscuits pour fléreurs... Non... Des mouchoirs usagés... Pourquoi pas ? Mais non...

Lulu finit par s'asseoir à ses côtés.

-Tu trouves quelque chose ?

Mali haussa les épaules :

-Je sais pas trop... y'a toujours le rasoir que j'ai acheté tout à l'heure avant qu'on aille voir Twoilette... C'est un Aphrodite, de Ginette, mais on s'en fiche que ce soit un rasoir pour fille, non ?

-Ouais, acquiesça l'AAA. Si en plus ça pouvait lui donner l'envie de se raser l'horrible ramasse-miettes dégoûtant qu'il a sous son pif... Beuaaah...

-Beuah t'as raison ! Allez, ça ira ! Et toi, t'as une idée ?

-Euh...

Lucrécya farfouilla dans son propre sac, et en sortit une paire de chaussettes roses à motifs licornes mauves, un sourire vainqueur aux lèvres :

-Ah ben voilà !

-Oh, des soquettes girly ! s'exclama Mali en souriant.

-Des soquettes girly taille 35 ! précisa Lulu en ricanant.

-C'est bizarre, je t'ai pas vu les acheter aujourd'hui...

-C'est normal, elles sont pas neuves. Je les ai laissé dans mon sac depuis mon dernier cours de sport !

La Zeta parut étonnée :

-Mais on est en vacances depuis cinq jours !

-Ouais, et alors ?

-Et tu les as pas lavé depuis ?!

-Non, et alors ?

-Et alors, rien. C'est un cadeau parfait pour le Doyen.

Les deux éclatèrent de rire.

-Allez, rentrons à l'université ! lança Malicia. Il est temps de se préparer pour le bal !

Les amies baissèrent les yeux sur les poches de la boutique de robes, et leurs larges sourires s'effacèrent aussitôt.