Les mains dans les poches de son épaisse cape, Marcus marchait dans les chemins embrumés de l'université d'un pas décidé.

Il n'avait pas eu une seconde à lui cette semaine, entre les cours de plus en plus sadiques du Général Schneider et les réunions musclées des Pi Alpha Fi. D'ailleurs, ces derniers ne lui en voulaient pas du tout de la baston monstrueuse à propos de l'antidote au sortilège musical : au contraire, depuis sa victoire (en compagnie de Lulu) sur les assaillants de la maisonnette de Mali, toute sa fraternité semblait le déifier.
A part MacMalden, évidemment, mais lui, il était jamais content, de toutes façons.

Et en ce samedi matin, enfin, il avait un semblant de temps libre avant l'arrivée de ses parents. Et connaissant sa mère et sa passion pour les grasses matinées et les brunchs interminables au lit, Monsieur et Madame Flint ne seraient pas là avant des heures.

C'était le temps qu'il lui fallait pour retrouver Malefoy. Cela faisait presque une semaine que les deux s'étaient frités par miroirs interposés, et depuis, impossible pour Marcus de remettre la main sur son meilleur ami. Et cet idiot ne répondait plus à son miroir.

Il fallait que Marcus le retrouve. Non pas qu'il s'en voulait ou qu'il s'inquiétait, non, c'était des trucs de gonzesses, ça. Mais il voulait le voir... juste comme ça... pour vérifier...

Et pour se faire, il montrait à chaque personne qu'il croisait une photo de son ami. Mais bizarrement, les gens ne lui répondaient pas, et le regardaient d'un air biaiseux, particulièrement les parents présents pour le week-end.

Vraiment, les gens n'étaient pas coopératifs. Ou alors, ça avait peut-être un rapport avec la photo qu'il leur montrait, la seule photo qu'il avait trouvé de Drago... C'était celle qui avait fait la une de quelques journaux quelques semaines plus tôt. Elle montrait le jeune homme passablement ivre, les vêtements froissés, une cravate nouée autour de la tête, une bouteille de bourbon quasi-vide à la main, et le visage recouvert de traces de rouge à lèvres. Il était installé sur les genoux d'une fille de joie fanée et rondouillarde qui, clope au bec, envoyait des baisers à l'objectif.

Marcus la trouvait réussie cette photo, pourtant.

A travers le brouillard, il aperçut un étudiant à la tête blonde et gominé, de dos. C'était lui ! Il s'élança vers lui en hurlant, et le plaqua au sol dans une prise digne d'un catcheur :

-ENFIN J'TE TROUVE !

-AAAAAAH !

Marcus passa son bras musculeux autour du cou du malheureux, et entreprit de l'étrangler :

-Qu'est-ce que tu foutais abruti de Malefoy ? J'ai été jusqu'à ton manoir et un domestique avec un Nimbus 2000 dans le dèrche m'a dit que t'habitais plus là, et il a été infoutu de me dire où tu pionçais ! Pourquoi tu m'as pas donné ta nouvelle adresse, hein ?!

-Pitié j'vous donne tous mes gallions si vous me laissez tranquille! couina le blondinet d'une voix nasillarde que Flint n'avait jamais entendu.

Fronçant les sourcils, le PAF retourna comme un vulgaire sac à patates l'étudiant qu'il était en train de molester : c'était un gaillard boutonneux, aux yeux marrons écarquillés, qui ne ressemblait en rien à Drago... hormis sa coupe au gel ridicule, d'un blond presque blanc. A son appareil dentaire, ses lunettes à double foyer et son teint blanchâtre d'intello allergique aux activités de plein air, il s'agissait à l'évidence d'un Pi Omicron Pi.

-Rha, désolé mon pote, j'me suis trompé de personne, s'excusa Marcus. Maintenant donne-moi tout tes gallions si tu veux pas que j'te casse un ou deux os.

Le pauvre s'exécuta avant de s'enfuir en courant en appelant sa maman.

Flint rangea la bourse pleine de pièces du POP dans sa poche, et se remit à errer dans les rues de Mysteria Lane.

Pourquoi cet idiot ne répondait pas au miroir à double sens ? Ouais, bon, ok, la dernière fois qu'ils s'étaient appelés, Malefoy lui avait demandé de l'aide pour il ne savait plus quoi,et Marcus l'avait envoyé balader comme un véracrasse malpropre, mais bon sang de bon soir, sa femme était entre la vie et la mort, il avait une bonne excuse !

C'était pas une raison pour le fuir comme ça ! Lui ! Son meilleur ami ! Après toutes les épreuves qu'ils avaient passé ensemble, tous les gommages qu'ils s'étaient fait, toutes les séries à l'eau de rose qu'ils avaient visionnés devant des double-sundaes chocolat-bierraubeurre !

Marcus s'avachit sur un banc de pierre, pour tenter de réflechir. Où est-ce que les héritiers blondinets se cachaient lorsqu'ils fuyaient leur mariage arrangé et que leur meilleur ami PAF les envoyer chier ?

-T'aurais pas une piécette mon pote ? rigola une voix nasillarde à côté de lui.

Marcus jeta un regard en coin à sa gauche : ce qu'il avait pris pour un vieux rocher rabougri était en fait un vieux fou rabougri, qui ricanait sous cape en parlant à une vieille chaussette sale qu'il avait enfilé sur son poing.

Le PAF fronça les sourcils : une lueur de folie dans les yeux du vieillard lui rappelait furieusement Griselda O'Neil, une sorcière qu'il ne portait pas particulièrement dans son cœur.

-Va-t-en, grand-père, avant que j'te casse les dents.

-Ca va être difficile, ça ! fit le vieux, en souriant, découvrant des gencives dépourvues de dents. Ma p'tite Suzie m'a dit que tu avais de l'argent, tu peux bien partager, mon pote !

Il agita sa chaussette sale sous le nez de Marcus. Ce dernier crut qu'il allait s'évanouir sous l'odeur.

-Oh, regarde Suzette, c'est un beau cliché de notre meilleur ami Drago que voilà, héhéhé ! Rajouta le cinglé en se penchant sur la photo compromettante de Malefoy.

-Qu'est-ce que t'as dit ?! Tu connais Drago ?!

Flint s'était levé et avait soulevé le vieux par le col de son pardessus crasseux.

-Héhé oui pardi ! On est ensemble en cours de Sciences Sociales Sorcières !

-Tu sais où il est ?!

-C'est mon colocataire ! Et depuis qu'il a emménagé chez moi c'est le plus heureux des hommes ! Le plus heureux !

-Amène-moi chez toi ! invectiva Marcus.

Le sourire du vieux fou s'élargit :

-T'aurais pas une piécette mon pote ?

Flint leva les yeux au ciel :

-J'te donnerais une belle mornille rien que pour toi si tu m'amènes à Drago !

-Wouah trop cool ! Il ne sera pas dit que le Vieux Stany ne méritera pas sa belle mornille !

Il bondit sur ses jambes maigrelettes, et avec une dexterité qu'on aurait pas attendu chez un ancêtre comme lui, se mit à courir à travers les allées de Mysteria Lane.

Marcus le suivit, et au fur et à mesure qu'ils avançaient, le paysage se faisait plus glauque, les allées moins entretenues, et même les nuages paraissaient plus noirs dans le ciel.

Ils finirent par grimper l'escalier brinquebalant d'un appartement sordide couvert de graffitis obscènes, et s'arrêtèrent, au dixième étage, devant une porte qui tenait plus de la planche en bois qu'autre chose.

Stan la poussa, et fit place pour laisser le PAF entrer :

-Voilà, c'est là ! La casa du vieux Stany et de son meilleur ami Dragy !

Flint fit quelques pas en avant dans la pièce, mais rien, RIEN ne l'avait préparé à ça. Il écarquilla les yeux :

-NOM DE DIEU, MALEFOY !

Allongé sur son lit, les cheveux en bataille, le visage amaigri et les yeux cernés, Drago souriait. Il habitait depuis bientôt une semaine dans une chambre sordide, dormait sur un lit de si mauvaise facture qu'on l'aurait cru de pierre, et survivait avec les restes que son compagnon de chambrée à moitié dément voulait bien partager avec lui. Pourtant, il n'avait jamais été aussi heureux.

Certes, en son for intérieur, l'Alpha regrettait les récents évènements qui lui étaient arrivés, et sa fortune lui manquait énormément. Mais fort heureusement, il n'avait pas tout perdu.

Il se tourna vers une silhouette qui était assise au bout du lit et qui le fixait. Il lui sourit : oui, il avait, à y réfléchir, bien plus que quelques milliards de gallions. Il l'avait, elle. Elle, qui l'avait soutenu dans les moments les plus difficiles, elle qui ne l'avait jamais abandonné et qui n'avait jamais cessé de l'aimer !

De plus, il était désormais un homme libre, et bien qu'il ne voyait pas encore que faire de toute cette liberté, il savait qu'il pouvait compter sur elle pour le conseiller. Il pouvait faire ce qu'il voulait ! Une lueur un peu folle passa dans ses yeux :

-Je pense arrêter mes études pour me lancer dans une carrière musicale... fit-il, songeur. Qu'en dis-tu ?

-Ohmondieuohmondieu ! lui répondit la silhouette d'une voix suraiguë.

Drago jaugea la réponse un instant :

-Oui, tu as raison, finit-il par dire, je devrais finir l'année en cours. Ah, que ferais-je sans toi ?

-Mondieumondieumondieu !

A ces mots, Drago s'esclaffa :

-Tu as toujours su me faire rire... Cela m'avait tant manqué !

Alors que sa "petite-amie" tressaillait tout en couinant des "ohmondieuohmondieu" stridents, il la prit dans ses bras et la serra très fort :

-Je n'aurai jamais dû te quitter, nous sommes si bien ensemble ! Ah, je suis si heureux que je voudrai le crier sur tous les toits !

Il regarda autour de lui comme un animal traqué :

-Mais, il ne faut pas. Non, il ne faut pas. Ils ne comprendraient pas. Ils nous veulent du mal. Ils nous ont tous abandonnés...

Il plongea son regard dans les deux boutons dépareillés qui servaient d'yeux à la créature qui était allongée à côté de lui :

-Malicia, toi, tu ne m'abandonneras jamais, n'est-ce pas ?

-Mondieumondieumondieu ! s'écria la chose.

Drago eut l'air soulagé. Brusquement, il se crispa de colère :

-Ah, ils pensent que je n'en vaut pas la peine, ils pensent que parce que j'ai tout perdu, je vais devenir fou de chagrin ! Mais je ne suis pas comme ça ! Je ne me laisserai pas abattre aussi facilement !

Drago tapa du poing sur son lit. Aussitôt, la tête de la créature roula à terre mais cela ne sembla pas perturber le blondinet. Par contre, cela perturba quelqu'un d'autre, qui venait d'entrer dans la pièce et qui hurla :

-NOM DE DIEU, MALEFOY !

En entendant la voix de son meilleur ami, Drago ouvrit des yeux surpris et se redressa brusquement :

-Flint ? Toi ici ?

Il remit rapidement de l'ordre dans ses vêtements. Les deux hommes se regardèrent avec appréhension.

-Surprise ! fit le vieux Stan, brisant le silence, sans se départir de sa bonne humeur.

Au vu de la froideur de l'ambiance générale, il finit par reprendre la parole :

-Bon, c'est pas tout ça, mais le vieux Stany a des choses à faire. Je vous laisse tranquilles !

Le vieil homme partit en claudiquant et en murmurant des choses à sa chaussette.

Marcus le regardait, bouche bée :

-Mais, tu fais quoi là ?! fit-il en le pointant du doigt.

-Je te retourne la question. fit le blondinet en croisant les bras.

-Ça fait une semaine que t'as pas donné signe de vie ! s'écria le PAF.

-Cela fait une semaine que tu m'as dit, je cite : d'"arrêter de te casser les souafles". siffla Drago.

Marcus fit quelques pas dans la pièce, les yeux ronds comme des billes :

-Alors, t'as décidé de squatter un clodo et de devenir à moitié barjot ?!

-Alors, j'ai du, face à l'adversité, faire un certain nombre de compromis ! corrigea Drago sur un ton méprisant. Et je suis enfin heureux ! Heureux !

L'ampoule au dessus de lui se mit à grésiller et l'Alpha tiqua.

-Et c'est quoi cette chose ?! fit Marcus en soulevant de terre une tête en chiffon.

Il considéra ce qu'il tenait dans ses mains avec dégoût : la tête était faite d'un sac à patate marron sur lequel on avait cousu deux boutons affreusement dissemblables pour les yeux, et d'innombrables ficelles jaunes pour les cheveux. Un large sourire dessiné d'une main tremblante défigurait le "visage". La chose sentait vaguement la fraise. Marcus ouvrit des yeux affolés :

-C'est Miss Bouftout ?! fit-il, incrédule.

Drago arracha la tête des mains de Marcus et s'empressa de la refixer d'un coup de baguette sur le corps en toile qu'il avait fabriqué. Une fois ceci fait, il se calma et lança un sourire étrange à son ami :

-Oui, tu seras ravi de savoir que Malicia et moi sommes à nouveau ensemble !

Il serra la marionnette dans ses bras et cette dernière poussa un "Ohmondieumondieumondieu" strident, que le PAF reconnut comme étant la voix contrefaite du blondinet. Le regard de ce dernier se plissa :

-Quand j'ai tout perdu, elle est la seule à ne pas m'avoir tourné le dos et maintenant nous vivons heureux ici. Nous ne quitterons plus jamais cette chambre et nous vivrons d'amour et d'eau fraîche. Ne vois-tu pas que je suis un homme comblé ?

Un silence affligeant suivit cette réplique. Au dessus des têtes des garçons, l'ampoule se remit à clignoter et finit par mourir dans un grésillement pathétique.

Marcus resta hébété quelques secondes, dans le faible filet de lumière que laissait passer les épais volets perpétuellement fermés... puis le PAF se jeta avec rage sur son meilleur ami, la mâchoire serrée, les narines dilatées par la colère, en faisant craquer ses phalanges.

-MALEFOY ESPECE D'ABRUTI CONGENITAL !

-Aïe !

-TU VAS ARRETER TES DIVAGATIONS ET REDEVENIR NORMAL !

-Aouch !

-MALI ET TOI C'EST FINI ! TU M'ENTENDS ? FINI ! ALORS TU VAS ACCEPTER CA COMME UN HOMME ET LE SURMONTER !

-Aaaargh !

-ET SI JE TE RETROUVE ENCORE EN TRAIN DE VIRER ZINZIN J'TE REFOUS UNE TREMPE !

-AAAAAAAH !

-C'EST POUR TON BIEN MON GAILLARD !

Il donna un énième coup de boule à Drago, qui tomba dos contre sol, sonné.
Il agrippa la marionnette mal faite qui n'avait cessé de répéter «Mondieumondieumondieu » pendant le tabassage en règle, et la pointa de sa baguette.

-Inflammarae !

Le pantin s'embrasa en une demi-seconde, et retomba, calciné, sur le vieux plancher de bois... qui prit feu à son tour, éclairant la pénombre de la pièce en faisant danser des ombres inquiétantes sur les murs couverts de moisissure.

-Woah j'pensais pas que ça brûlerait aussi vite ! Aguamenti !

-Tu as tué Malicia, protesta mollement le blondinet, en tenant son nez en sang, sans même jeter un œil au sol qui fumait.

-Tu veux que je te refile une rouste ?! pesta Flint. Maintenant lève-toi, nos parents doivent nous attendre !

L'héritier déchu se releva en soupirant :

-Je ne pense pas que mes parents auront daigné faire le déplacement.

-Tu peux pas en être sûr ! Si ça se trouve ils vont venir faire la paix ! De toutes façons, tu peux pas rester ici ! Tu vas venir dormir sur mon canapé !

-...et laisser Stanislas tout seul ? Mais c'est mon meilleur ami, gémit Drago, en tamponnant son nez avec sa manche.

-Laisse tomber ce mec ! C'est moi ton meilleur ami ! Rester ici avec ce vieux dingue ça te ramollit le cerveau !

Il jeta un coup d’œil au Vieux Stany, qui rigolait dans un coin en chuchotant des trucs à sa vieille chaussette malodorante.

-Hey les gars ! lança-t-il en souriant, laissant apparaître sa bouche édenté. Ça vous dit de jouer au Sloubi avec Suzie et moi ? Quand on remporte le tour à Sloubi, on a quatorze solutions possibles : soit on annule le tour, soit on passe, soit on change de sens, soit on recalcule les points, soit on compte, soit on divise par six, soit on jette les bouts de bois de quinze pouces, ça c'est quand on joue avec les bouts de bois, soit on se couche, soit on joue sans atouts. Ça vous dit ?

Marcus leva un sourcil circonspect :

-Faudrait vraiment le présenter à O'Neil, celui-là. Je présage une grande amitié en perspective... soupira-t-il.

Il se tourna vers Drago, dont le nez avait enfin cessé de saigner.

-Prends tes affaires, on s'en va ! décréta le PAF.

Malefoy grimaça :

-Quelles affaires ? Ironisa-t-il. La seule chose qui m'appartenait c'était... ma Malirionnette que tu as brûlée.

-Eh ben comme ça tu voyageras léger ! répliqua Marcus sans s'en faire.

Il poussa son ami hors de l'appartement avec force.

Direction : la place Magnus Maximus Magouille